Album en poche, l’ orléanais David Fakenahm répond aux questions de Will Dum (photo noir et blanc: Nine Fakenahm)…
Ca fait bientôt 20 ans que tu sors des disques, comment arrives-tu à garder fraicheur et motivation ? Quel regard portes-tu sur ce parcours fourni ?
Ça fait même un peu plus longtemps que ça, mais oui, 20 ans en solo! Un peu en dents de scie. De 2006 à 2012 j’ai sorti quatre albums. Puis 10 ans de coupure, et depuis deux ans j’ai enchaîné deux albums. Alors comment rester frais et motivé…? Au risque de paraître fleur bleue, je dirais que la passion aide beaucoup à cela. Même pendant l’apparente inactivité de 10 ans j’ai continué à jouer, à trouver des plans de guitare, des mélodies. Mais je n’avais pas la disponibilité pour aller au-delà sur le moment. Pourtant, dans un coin de ma tête, je gardais la préoccupation de ne rien perdre car il y aurait un moment où je pourrais finir les compositions, les enregistrer, les sortir. Pour conclure, la fraîcheur et la motivation sont toujours là pour créer, que je le veuille ou non.
J’ai un regard très critique et en même temps bienveillant sur mes albums. Je ne fais pas partie des personnes qui n’écoutent jamais ce qu’elles enregistrent. D’abord parce que mon critère de base pour sélectionner les morceaux à paraître, c’est de savoir si j’aimerais les écouter si je les découvrais sur le disque d’un autre artiste. J’aime les chansons avant tout. En réécoutant, j’entends des choses qui me plaisent et me motivent à recommencer…mais aussi des choses qui me hérissent et me donnent envie de tout refaire. Avec les années, je vois cela comme une étape essentielle pour préparer l’album d’après.
Qu’est-ce qui fait, d’ailleurs, que tu as un beau jour décidé de faire de la musique ?
Je suis né dans une famille où la musique était omniprésente. J’ai toujours pensé que c’était un sujet important. J’y ai consacré une grande partie de mon argent de poche à l’adolescence. Et logiquement, à force d’écouter, j’ai voulu participer. Je me suis mis à la batterie tard, à 17 ans. Très vite j’ai cherché à jouer en groupe. Et très vite également, j’ai eu un avis sur les compositions, que je n’hésitais pas à partager. Dans mon deuxième vrai groupe, un power trio très rock, la difficulté à trouver un chanteur m’a conduit à prendre le chant en plus de la batterie. Et c’est comme ça que je me suis vraiment penché sur la composition. À la fin du groupe, il n’était plus question pour moi de redevenir « simple » batteur dans un autre groupe. J’étais devenu un compositeur, débutant et très perfectible, mais la fibre était révélée.
Ton dernier disque en date, Landscapes, semble détenir des tons plus « rock », de manière globale. Qu’en penses-tu ?
Je suis d’accord si tu le compares à son prédécesseur, Family Tree. Mais si je repense à Back from Wherever, mon premier album (2006), il y a déjà des morceaux avec des sons et des riffs rock, qui alternent avec des morceaux plus acoustiques. J’aime le rock, j’aime le bruit. Quand je joue de la batterie derrière Matthieu Malon j’adore taper fort, maltraiter les cymbales, prendre des allures de Keith Moon si les morceaux le permettent. Mais je n’ai pas une voix qui se prête à habiller des morceaux à gros volume.
J’ai adoré faire un album comme Here and Now (2009), tout en douceur acoustique. Mais même à cette époque, je m’amusais à développer des morceaux instrumentalement très rock, sans les terminer. Et de finir la même année par sortir Warehouse, un album hommage à la noisy pop/ shoegaze que je vénérais à 16-17 ans. Cet album n’existe plus nulle part d’ailleurs, j’envisage de le « ressortir » via Bandcamp début 2025. Pour revenir à ta question, si je garde le rythme et enregistre un nouvel album, il est possible qu’il soit encore plus rock sur certaines chansons. Donc le ton de Landscapes ne restera pas à part dans ma discographie.
Son titre signifie t-il que tu y façonnes des sortes de «paysages musicaux » ?
Des paysages, des scènes. C’est toujours difficile de donner un titre qui corresponde à 10 ou 12 chansons. Sur une majorité de celles qui composent Landscapes j’ai posé des images de lieux, entre ville et nature, et au moment de choisir le titre je me suis rendu compte qu’il y avait 2 points communs à ces 10 titres. Des lieux divers et…moi. Je n’avais pas envie d’appeler l’album « Ma vie, mon œuvre » , Landscapes me semblait plus adapté. C’est aussi ce qui a guidé le choix des photos (de François Paul) pour les deux pochettes. Une photo très « nature » et une photo très urbaine, qui se répondent et se complètent.
Comment en as-tu abordé la création ?
La création au sens de l’écriture et la composition, c’est une activité permanente. Je ne m’assieds pas en me disant qu’il est temps de créer un album. Je trouve des bouts de chansons, les capte, les archive, les ressors, les termine…ou pas. L’enregistrement en revanche a été très rapide. J’ai profité d’un moment unique où je pouvais ne penser qu’à la musique. Je me suis appuyé sur les démos que j’avais faites, qui étaient déjà très avancées. En 10 jours tout était enregistré. Sur « The Top », je me suis dit qu’il fallait apporter encore plus de saturation sur la fin et ai demandé à Matthieu Malon de m’épauler. Puis, j’ai laissé passer quelques mois pour bien écouter les prises et mûrir l’idée de la couleur que je voulais donner au mix.
Enfin il a fallu penser à la pochette, ce qui n’est jamais un exercice dans lequel je suis à l’aise. C’est pourquoi j’ai appelé François à l’aide. En plus des photos qu’il a fournies, il a fait tout le design des deux pochettes. Je les trouve indissociables et très fidèles au contenu.
Qu’as-tu mis en place pour faire valoir Landscapes ? Quel est, pour l’heure, l’accueil qui lui a été réservé ?
Pour le moment, Landscapes a recueilli 3 chroniques, toutes très positives. Je voudrais m’excuser auprès de Robert Smith puisque nos albums sont sortis à une semaine d’écart et je crains d’avoir un peu trop accaparé l’attention des chroniqueurs d’ailleurs… Blague à part, nouvel album de Cure ou pas, quand tu fais un album auto-produit, c’est devenu de plus en plus difficile d’exister. À l’époque de One Thing Remains (2012), il me semble que c’était plus facile. Je n’ai probablement pas les bonnes pratiques, ou la bonne compréhension de ce qu’il faut faire en 2024 pour susciter de la curiosité et recevoir une réponse aux bouteilles que je jette à la mer pour avoir plus de chroniques ou d’interviews.
J’aimerais pouvoir faire quelques concerts. Mais pas seul avec ma guitare en bois, comme je le faisais pour les autres albums. Même si j’ai presque tout composé comme cela, ça ne rendrait pas ce que j’ai voulu faire sur disque. L’idée et l’envie de monter un groupe n’a jamais été aussi forte, surtout après les trois énormes concerts faits avec le super groupe monté par Matthieu Malon pour son album Bancal.
Vis-tu de ton art musical, sinon quels sont tes autres « dadas » et nourrissent-ils ton travail sonore et verbal ?
Non, je ne vis pas de ma musique et n’ai plus espéré y arriver depuis 1998, je pense. Ce qui éclaire aussi ma réponse à ta question précédente. La musique en tant qu’auditeur est mon loisir principal. En tant que créateur, c’est sans doute mon deuxième loisir le plus prenant. Mais sinon je suis fan de vélo, comme spectateur et comme pratiquant, de football américain, de BD, de jardinage… Et oui certaines de ces activités nourrissent mes chansons. À vélo tu vois défiler des paysages qui peuvent t’inspirer des textes. Mais tu peux aussi, au rythme du pédalage, te retrouver avec une mélodie en tête, qui s’installe, se développe, et quand tu arrives chez toi tu la chantonnes dans un dictaphone et une nouvelle chanson est en chantier.
Il m’est arrivé de rentrer avec toute une chanson et de ne finalement pas la garder car trop convenue, trop similaire à d’autres, etc. Mais ce n’est pas grave, l’exercice nourrit l’expérience et sert les futures chansons. C’est un peu ce que « The Top », qui clôt l’album, raconte à travers une autre métaphore d’ailleurs.