C’est peu de dire que je l’attendais, ce premier album du trio stambouliote, après la découverte de ses trois premiers singles. Les Disques Bongo Joe, par chez nous, en assurent la sortie et déjà, au vu de ce que propose le label, on pressent du singulier. Ali Güçlü Şimşek, Barlas Tan Özemek et Kaan Düzarat, les trois hommes à bord de l’équipée Turque nommée Lalalar, créent un patchwork où électro en ombres, psychédélisme de chez eux et effluves arabisantes dans les guitares, mais pas seulement, s’accouplent pour enfanter l’un des patchworks les plus excitants du moment. On y sème de la funk, on l’épice comme il se doit et personne n’y pourra résister car İsyanlar, de sa basse qui groove grave, instaure un premier trip définitif. Il distille des petits sons électro fatals, des nappes obsédantes, fait vriller et vaciller ses guitares. Jouissif. Break de brouillard, puis terme d’orient à haute teneur addictive. Abla Deme Lazım Olur, dans un dub aux riffs délice, portant une seconde salve tout aussi typée. On voyage, au son d’une zik sans âge. Yamyam se poste entre fond cold et séquences à nouveau, et c’est pas nouveau, squatte-cerveau. Ninja Partisi trépide, basse en avant, Anatolie dans le viseur. Trop bon! Yalnız Ölü Balıklar Akıntıyı Takip Eder flirte avec le blues, forcément désorientant. Il castagne sa cadence, lourde, et persuade sans rémission avec, dans sa besace, des guitares magistrales, mordantes.
On est à 5 morceaux, sur 15 au total, et les dès sont déjà jetés; Lalalalar nous fait chanter des lalala. L’usage de sa langue natale, de surcroît, le rend entièrement irrésistible. Quelques envoûtements plus loin Kötüye Bişey Olmaz, paré lui aussi de sons qui nous projettent dans l’ailleurs, souffle des scories à la fois trippantes et appuyées. Il breake, quasiment psyché. Il traficote ses voix, lance une électro dark et addictive. Kılavuz Karga suit, sa voix tchatche. Il est beau, sauvage autant que distingué. Depresyondan Çıktım Boşluktayım voit ses percus se faire tribales, il avance dans une finesse, et une patine sonore, qui forcent l’admiration. Il rappe, hausse le ton, groove comme personne d’autre. A la hauteur d’un Altin Gün -en termes de capacité à innover, en se basant sur le folklore anatolien-, Lalalar aligne les pépites. Hata Benim Göbek Adım en fait partie, électroïde, dub, psyché, syncopé, sans caste précise. C’est du Lalalar, voilà tout, et ça nage allègrement au dessus de la mêlée. Le morceau s’emporte, nerveux. Ceketini Al Yoluna Bak sort des cieux, lent et insidieux. Ses guitares sortent les crocs, je sur-adore ce disque! Sol Şeritte vire électro-cold mais de manière « maison », c’est à dire à la croisée des genres. Et des idées, porteuses. J’embarque, avec Lalalar, pour une virée sans retour. Le titre mue en dub cosmique, on ne sait à quoi s’attendre et constamment, on est comblé par le rendu. Les synthés s’étoilent, superbes. Hiç Mutlu Olmam Daha İyi file, initiant un rock racé.
Rock? Pas seulement: c’est l’écoute qui vous le révèlera, plus que mes mots. Mecnun’dan Beter Haldeyim t’y contraindra d’ailleurs (à l’écoute), en pulsant sous l’égide d’une basse qui ne cesse de bondir. Et de séquences, de sonorités, qui virent tous tes tracas illico presto. Il fuse, reluit, resplendit, te possède. A la fin de la fête Simülasyon Terk, « bassifié » à son tour et comme il se doit, largue une salve funky triturée. Je suis accroc, pour un temps indéfini, de ce skeud sans accrocs. Lalalar m’a conquis, dès ses premières notes. Bi Cinnete Bakar, sa dernière merveille -éponyme, donc-, le voit bricoler comme un Beck, ou comme un Soul Coughing, alors qu’il ne leur doit rien car lui-même il est. Bi Cinnete Bakar vire en tête, très largement, de la foire aux découvertes alors qu’en ce mois de mai, et depuis avril, se bousculent les sorties de grande valeur.