Paru au départ en 1985, oeuvre d’un Thierry Müller pour qui ce disque n’est pas, loin s’en faut, l’effort unique et initial, le « Polaroid/ Roman/ Photo » de RUTH, son projet avec, comme contributeurs sur l’opus, les intervenants suivants: Édouard Nono, artiste plasticien qui écrira les paroles de Mots, et Frédérique Lapierre qui signera celles de Misty Mouse et Tu m’ennuies, posant par ailleurs sa voix sur ces deux titres et la première version de Polaroïd/Roman/Photo, revoit le jour via Born Bad. L’histoire autour de la galette de french synth wave 80’s est plus étendue que ça mais tenons-nous en à l’essentiel; douze morceaux (sept plus cinq bonus de choix) que Thriller, en mode synth-punk appuyé, balise d’entrée avantageusement. Cris des guitares, sans équivoque, synthés aussi basiques que prenants, effluves cuivrées. Chants tarés, déferlantes de sons vertigineux. C’est parti pour une embardée, passionnante, que le titre éponyme perpétue en faisant retomber la démence. Ca marche tout aussi bien, à base de voix naïves et motifs volants. Féminin et masculin se répondent, sur une trame mécanique. Tubesque. She brings, reprise de Can, pose ensuite une atmosphère céleste avant de laisser ses sons s’entrechoquer. Misty Mouse, histoire d’une souris brumeuse, d’un coït brumeux dans un monde brumeux -tout un programme-, suit dans une répétition qui hypnotise, dotée d’un chant narratif au thème loufoque. RUTH aligne les morceaux élevés, fantaisistes mais irrémédiablement attirants.
Aujourd’hui encore, le disque sonne sacrément bien. Mabelle, aux décors orientalisants, alerte, fait lui aussi son effet tout en unissant les chants. 80’s, follichon, groovy, il fait un carton. Plus loin Mots, fort de ces boucles une nouvelle fois géniales, sans complexité mais sans, non plus, faire dans le normé, en remet un godet. RUTH sonne 80’s dans ce qu’elles ont de meilleur, pue l’inventivité et tourne le dos aux élans sucrés, par trop entendus. Il regorge de bruits qui dépaysent, lui-même nous contraint à une plongée inédite que Born Bad ressort donc avec le bon goût qu’on lui connait. Tu m’ennuies, sur dix minutes « et un peu plus » qui s’amorcent dans le pesant, le pataud qui s’insinue dans le crâne, hypnotise lui aussi avec, en « parure », une voix derechef « de récit », marquante. Qu’il est bon, j’avoue pour le coup le découvrir, d’avoir le privilège d’une telle (re)trouvaille! On attaque alors les bonus, c’est Polaroïd/ Roman/ Photo (Cotton Wood Mix) qui le premier laisse fuser ses sons acides et/ou flottants sur climat spatial. Sans Mots (Remix 2011 / L’Orchestre Inachevé) suit, perché, bardé de plans inquiétants. C’est une expérience, sonique et expérimentale, qui vaut le détour. Polaroïd/ Roman/ Photo (Instrumental First Mix), ensuite, démontre que même privé de chant il prend le chou jusqu’à y rester niché. Il se fend en outre d’encarts givrés, psychotropes, inattendus.
Dans ses pas Mabelle (Demo – 1979) impose son côté sec, sans trop de fioritures, et son groove incoercible qui ne rate pas la cible. A chaque morceau, vous l’aurez compris, RUTH gagne nos voix. A la fin des (d)ébats c’est Lapinroïd, effort bargeot aux hautes vertus sonico-psychédéliques, qui nous vrille une dernière fois les sens. Voilà une ressortie de qualité optimale, qualifiée d’ album pour filles où celles ci avaient le premier et le meilleur rôle : elles sont toutes charmeuses, impudentes, insolentes, effrontées, drôles, attachantes, aimantes…à l’instar de ce Polaroid/ Roman/ Photo qui s’il était sorti à ce jour, aurait damé le pion avec brio à plus d’une formation actuelle.