Groupe d’Allemandes à l’esprit punk et DIY, « expérimentantes », aussi new que no-wave, Carambolage a sorti, au début et au mitan des 80’s, trois albums séminaux. Tapete Records, jamais à court de bonnes idées, réédite en ce mois de janvier ces ouvrages, dont ce premier opus éponyme conçu par Britta Neander, Elfie-Esther Steitz et Angie Olbrich. Soit treize titres joliment dépoussiérés, qui flirtent avec la cold et le post-punk, groovent avec folie et innovent, pour l’époque, avec un foutu brio. La «North Frisian Wave» -un qualificatif imaginé pour leur son distinctif- des trois filles se démarque dès Rampenlicht, où le chant se mutine en se faisant, aussi, sensuel. D’obédience no-wave, saccadée et chaotique, la sphère Carambolage vaut largement le détour. Tu doch nicht so, punk, grondant, lançant une deuxième flèche viciée sur chant gouailleur et choeurs à la B 52’s. Si si, on entend même des sons qui évoquent le clan de Kate Pierson dans les sonorités de synthés, voire de guitares. Mais Carambolage, affairé à tracer ses propres traits, ne doit rien à quiconque. City-Großmarkt, quasi-funky, sous l’effet de notes ondulantes, produit lui aussi un bel effet. Das männlein se montre ludique, délirant, galope sans raison.
Les dames s’amusent, font subversion, imposent leurs versions. Au bout du compte, elles créent un registre. Le Français fait même son apparition sur Je t’aime, déclaration enflammée appuyée par une batterie en roulements que forcément…on aimera. Un peu plus loin, Die Farbe war Mord parle dub. Le disque, fort d’une belle diversité, n’en est que meilleur encore. L’inventivité de Carambolage est un atout, Johnny louche vers le jazz et m’évoque Kas Product dans une facette posée. Was hat das für einen Sinn prend la suite en filant, offensif. C’est un régal que cette ressortie, à déposer auprès de celles de groupes comme The Monochrome Set ou encore Stereo Total, chroniqué ici par mes soins. Fußgängerzone, basse bavarde en avant, pulse et serpente vivement. Un must, comme le sera le lancinant et déviant Roxan l’instant suivant, à l’orgue qui coule. Ou Der reigen, sorte de valse aérienne elle aussi bien sentie, aux chants émotionnels.
Carambolage étire son lexique, défriche et sonne encore, même à notre époque, singulier. Il s’écoute sans discontinuer, se découvre un peu plus à chaque passage consenti. Rue Chenoise, psyché, percussif, en accentue les penchants sinueux, hors-cadre. C’est Bretter, bretter, bretter qui, en galette synth-punk vivace, où les vocaux partent dans le décor, qui achève l’affaire. Les synthés y tissent des bazars attractifs, on est là aussi dans une création en marge, barjote, farfelue et imparable, frappée du sceau d’une imagination débordante. Libre, dénué de règles réductrices, Carambolage trouve ici une seconde vie salutaire, sur trois albums qu’il ne serait de toute façon pas concevables de laisser en proie à l’oubli.