Formée à la batterie à 12 ans, happée par le son de Coltrane et Davis, puis de Björk et Emilie Simon, Amélie Nilles, lors d’un cursus de musicologie suivi à Paris 8, affute son goût pour l’expérimentation. Composition électroacoustique, spatialisation du son ou encore field recording n’ont alors plus de secret pour elle. Un premier ep nommé Seed sort chez Off Records, en 2016, et nous voilà aujourd’hui gratifiés d’un cinq titres illustrateur de sa liberté, extravagant, complètement passionnant. Amélie Nilles A croqué le fruit étrange, celui-ci lui donne une inspiration de tous les instants et l’amène à tutoyer des sphères inédites, dont la première traduction tient en un Strange Fruit où voix de majesté et bruits inquiétants, percus assénées, éparses, et grincements au bord de l’indus entrent dans une dissonante collision. Et bim!, on est déjà soufflé, extrait de notre socle, catapulté dans des territoires qui redonnent foi en la création. Caravan, dépaysant dans un premier temps, presque oriental, fait un peu son Björk. Il me rappelle, peut-être bien, que je suis passé à côté de belles choses en omettant les débuts de l’Islandaise. Ce n’est rien, Amélie Nilles pousse le bouchon bien plus loin encore. Jazz titubant, sons marginaux, climat aux tons de gris et, comme à l’habitude, chant merveilleux prohibent la redescente.
C’est aussi beau que dépeigné, je veux moi aussi croquer dans le fruit étrange. Pour l’heure j’ai cet EP, synonyme de satisfaction de ma soif de différence, de singularité, à m’envoyer. Don’t explain flotte, erre, quitte ensuite les rails. Lunaire, il s’agite sous l’impulsion de soubresauts nébuleux, de sonorités étoilées autant que perturbées. Amélie Nilles A croqué le fruit étrange, bientôt chacun voudra mordre dedans à son tour. Το μινόρε της αυγής, chanté en Grec me semble t-il, se pare de « field sounds » et déploie un jazz barré, à la voix d’homme trafiquée. Il trébuche, parait chercher sa route que depuis longtemps, il a de toute façon déjà délaissée. L’EP sort chez Planisphère, label…expérimental, on le supputait fortement. Sa dernière divagation, Chiennes, fend les cieux mais, dans ses bruits, renvoie une folie qui imprègnera l’auditeur. Psychélectro, jazznoise, floue et songeuse, agitée et psychoactive, elle dépose l’ouvrage sur des champs plus dérangés encore. Et le « pire », c’est que tout ce désordre savamment agencé est passionnant de bout en bout. Il se livre après, seulement, quelques écoutes poussées car nombreux sont ses virages, changeants sont ses atours. C’est une expérience, magnétique et définitive, sans aucune autre source que le vécu de son auteure et l’immense savoir-faire qu’il lui a légué.