Frise Lumière? Un nom barjot et encore, sûrement, un truc sans queue ni tête. Pas étonnant! C’est Clémence, l’attachée de presse de ce projet « bassifié » à l’extrême, qui me l’a fait connaitre; elle m’avait déjà fait le tour, il y a peu, avec Angle Mort et Clignotant. Ludovic Gerst, musicien et compositeur, y bâtit des trames dark, à quatre cordes donc, et impressionne par ce qu’il parvient à tirer dudit instrument. Son Bisou genou (et c’est reparti, on se vautre avec délices dans le n’importe quoi…qui nous rend cois), en effet, rassemble neuf morceaux percussifs, bancalement mélodiques, entre noise, expérimentation et chants traditionnels (il faudra me dire où car ici, je n’en décèle rien). Bref, c’est un disque unique et en cela, il te pousse dans tes derniers retranchements, t’oblige à déployer des trésors d’assimilation pour, par ses textures et climats, t’emprisonner après avoir balourdé la clef de ta geôle. Il m’arrive de penser, à l’écoute et celle-ci se répétera à de nombreuses reprises, captivante, au Sonic Youth première ère (l’ambiance de L’Oiseau De La Lune Rouge, à l’exact mitan de l’opus, qui n’aurait pas chipé sa place sur un Bad Moon Rising). Frise Lumière, de toute façon, prend la tangente d’emblée. Abscondre étend une trame à la répétition délicieuse, car faite de sons de basse déviants, hérissés, dépaysants, qui me disent folk mais se passent bien de complètement en être.
Le rendu est lo-fi, minimaliste et malgré ça, il remplit l’espace. Il embarque son peuple, destination les nouvelles sphères à la Gerst. Inédites, inventives, conçues avec une dose maousse d’ingéniosité. On en retient les aspérités, la réitération, et le pouvoir des sons. Jessica Plast, basé sur cet empilement de notes et de motifs, hypnotise. Serein, c’est une berceuse sonore sédative et chatoyante. On s’extirpe de notre torpeur, cependant, quand Platane Sous Soleil pose son bruitisme folk-indus aussi merveilleusement « immuable » (je ne sais pas si c’est le bon terme car il y a, dans ce Bisou Genou, une belle succession d’atmosphères magiques) que le reste. Vétiller s’adonne à son tour à un genre qu’on ne peut définir avec précision. Il fuit les formats, à l’instar de ce que (dé)construit Frise Lumière. Lequel, entre sonorités subtiles et coups de couteau soniques, crée son propre champ sonore. Privilégiés, nous sommes au rendez-vous pour nous en draper. Marée cage, délicatement noise, valide une impression persistante: avec une basse « et puis c’est tout », on peut faire dans l’ ensorcelant, se soustraire aux jalons connus. Jak Kropla Wody assure tout à la fois les percus, la basse bien sûr, et l’épopée dans des milieux où Dame Musique ne reconnait plus ses petits.
Brûle Gueule les a gobés, dans un climat joliment agité, au son de canevas derechef déroutants. Déroutants au point qu’on leur emboite le pas sans vraiment hésiter, happé par une création singulière. Il est difficile, voire vain, de décrire l’effort de Frise Lumière. L’audition, vous le constaterez, livrera son verdict. A la fin des courses Gros Maux Laids, court (sur pattes? Pardonnez ma médiocrité), aurait gagné à s’allonger. Il laisse un goût d’inachevé mais ce n’est rien: on tient avec Bisou Genou un album précieux, auquel on reviendra comme mu par une étrange et incoercible attraction. Une rondelle sortie chez Tapenade Records, vraisemblablement voué à ses pérégrinations, qu’on inscrira avec plaisir dans le rayon des créations décalées et personnelles de A à Z, porteuses d’ambiances aux effets durables et rarement entendues jusqu’alors.