Je l’ai déjà dit? Je le répète donc avec joie: chez Replica, on aime à rééditer des trésors enfouis, avant-gardistes, d’une teneur qui exige qu’on s’y trempe tout entier avant de l’appréhender dans leur entièreté. Avec ce deuxième opus de Speed Limit, formé autour de trois membres de Magma (Jannick Top, Joel Dugrenot et Yochk’O Seffer), sorti à la base en 1975, on a le plaisir de (re)découvrir un son osé, quelque part entre jazz libre et rock progressif, musique Zeuhl et tendance à l’errance, sacrément productive. Le vinyl est de plus superbe, on attaque la face A par un Time’s tune qui se décline en quatre parties et sans atermoiement, le cachet d’antan de Breeze borealis libère un jazz lunaire, ondulant, joué avec un feeling dingue.
Voilà un son qui, empreint de maîtrise sans pour autant verser dans la démonstration, parvient à faire passer ledit genre, sans forcer plus que ça. Il le pervertit, le zèbre de sons trippants, le fait groover comme une rondelle de Funkadelic. Si si. A run around the block, entre feutrine jazzy et abords déchirés, produit les mêmes sensations soniques. Il déroute, perd sa route dirait-on…mais non, il garde le cap d’une voie…lactée, déviée, tempétueuse dans sa distinction. Du jazz tout en loopings, audacieux, qui monte vers les cieux au gré d’un sentier sinueux. On n’est d’ailleurs pas au bout de nos (bonnes) surprises puisque Jettatura, dans une quiétude ornée par des voix lyriques, profite de son second volet pour s’encanailler. Fichtre!, le trip est poussé ma p’tite dame!
Etourdissant, l’album se démarque et affiche une belle marque. Good Night Little Bear…, court et posé, finissant de manière apaisée l’épopée Time’s tune. Il laisse le champ libre à African dance, un tantinet tribal, hanté, possédé, répétitif jusqu’à prendre possession de nos perceptions. Il existe, chez Speed Limit, un refus des limites qui lui permet de prétendre à l’élite. A l’issue de cette première face, en tout cas, on s’enthousiasme à l’idée de poursuivre l’audition. Alors Pastoral idyl, scindé lui en cinq pièces (si défaut il devait y avoir, pour le coup, il résiderait dans ce choix d’un agencement pour le moins « complexe »), impose une échappée de plus de vingt minutes au total, émancipée de toute règle réductrice. On y trace, on y lance du son vrillé à tout-va et à l’envi, on y jazze dans la démence. Ca pulse, ça s’envole, ça secoue un peu aussi. Ca grince, ça pue la classe et surtout, ça suit à nouveau une route aux méandres captivants. Au bout d’une écoute, tu te dois de réenclencher le play. Speed Limit, t’en fais pas l’tour en un jour. Il te faut y revenir, t’y plonger encore et encore, le laisser te pénétrer. Du morceau en question, surgissent des vocaux dingos, greffés à cette souplesse jazzy qui n’en finit pas de se trémousser.
Une fois « terrassé », tu ne pourras la chasser de ton esprit. Speed Limit, sur ses deux galettes qui repoussent les barrières, instaure un genre qu’on ne peut rattacher qu’à ses propres aptitudes. On sait gré à Replica, d’un flair exemplaire, de nous offrir de telles productions gravées sur sillons, dont le son et les orientations innovent bien plus que la très majeure partie des combos actuels. La ressortie est limitée à 500 exemplaires, prenez-en bonne note car ça signifie, vous l’aurez compris, que ce vinyl de toute beauté exige qu’on se presse d’en assurer l’achat. Pour tout juste quelques pièces, ça sera la liesse, au vent d’un son polisson et bien trop bon pour qu’on décide de s’en dispenser.