Ca faisait une paye, un temps infini que n’a pas tué le temps, qu’on n’avait plus rien eu -excepté les slams et fanfares s’y étant illustrés ces derniers mois- à se mettre sous la dent dans ce joli Mic-Mac Amienois. La date de ce mardi fut donc, à son officialisation, d’autant plus prisée qu’elle incluait, à l’affiche, deux groupes notables du coin: Dantadjeul, au punk-rock émaillé de reggae, et Jamble All Stars, au registre plus porté sur la seconde mouvance. C’est d’ailleurs un membre des premiers nommés que j’aperçois en arrivant, entre autres trognes de « zicos » de la cité amienoise, avant qu’on me signale la présence de Masto…ex-saxo des Bérurier Noir, alors qu’au mix final est prévu Junior Cony, qui a aussi oeuvré dans la clique issue du Folklore de la Zone Mondiale. Diantre! Du beau monde, un endroit ressourçant, niché dans la verdure.
Du son pluriel en perspective, aussi, pour une communion sonore qu’amorce le mix de Bredda Joe, de Up Hifi, alors que les gosiers ingurgitent les premières lampées d’élixir. Un ptit Saint Nicolas pour moi, le temps d’attendre que Dantadjeul distribue ses premières mornifles, après un échange avec Masto « bis », membre influent d’un Balbibus qui ne l’est pas moins. Celui-ci m’offre au passage un badge tout en beauté de ladite association et m’annonce qu’en septembre et novembre se tiendront deux autres lives de folie: Jim Murple Memorial, d’abord, puis Cosmic Shuffling. On est décidément bien ici, la party s’annonce jouissive et ce n’est surtout pas le trio aux textes vindicatifs, percutant, qui va faire redescendre la température.
Son répertoire, prétexte à dénoncer, à éructer ce qui -et il y a à dire- dérange et enrage, a le bon goût de mêler les genres, passant de coups de boulard punk sans rémission à des encarts reggae plus enfumés sans que le procédé n’entrave la performance. Depuis un passage sur leur récente résidence à la Lune des Pirates, j’avais décelé le potentiel de ces trois habiles fauteurs de troubles. Le live du soir valide mon impression de départ: sous des aspects frontaux, les mecs tiennent leur son et savent y faire, unis par une certaine maitrise individuelle. Celle-ci sert le collectif, dans le public on se met à gigoter et, exhorté par le leader affublé d’un t-shirt aux couleurs de la Jamaïque, à scander le désaccord commun. La police en prend pour son grade, fut un temps certains l’auraient acclamée mais passons: Dantadjeul, au patronyme seyant, aligne les parpaings tout en parvenant à susciter les déhanchements.
Là où d’autres font dans le figé, dans la succession de morceaux speed qui ne respirent pas, chez lui on varie tout en restant cohérent et impactant. On apprécie l’initiative, en tirant profit d’un gig certes court, mais incontestablement concluant. Il se confirme que le retour au Mic-Mac, ainsi qu’escompté, est une fois de plus à la hauteur des attentes engendrées. Au beau milieu de visages connus, d’autres plus « novices », on est dans cet espace, un peu, comme dans un havre de paix et de liberté.
La pause est de plus courte -ça me va, j’exècre l’attente- et le temps d’un détour chez un ami voisin des lieux, en remontant la rue, j’entends les ondulations des Jamble All Stars. Je presse le pas, dégoupille l’appareil. C’est la fiesta, il y a de manière visible et audible, dans ce style que pendant longtemps, j’ai presque rejeté, une capacité à fédérer, à clamer la paix et mettre l’injustice à distance, qui porte les prestations. C’est en l’occurrence le cas, c’est à nouveau les conditions scéniques qui me dévoilent et m’ont révélé, de même que les interactions entre groupe et assistance, toute la portée du reggae. Après les coups de gueule de Dantadjeul, la vindicte est à nouveau de mise mais le ton employé pour la porter diffère. Le groove du genre en question, du combo amienois uni, incite de surcroît à la décontraction.
On s’y abandonne donc, volontiers. Un peu comme si, après les ruades punk du début, celles-ci avaient obtenu gain de cause pour laisser les effluves reggae célébrer la victoire. Je déclenche et redéclenche, soucieux de figer par l’image ces bandes méritantes, ce public voué à la fête et au lâcher-prise. Horaire oblige je ne verrai malheureusement pas le mix du sieur Cony. J’apprends toutefois que dans celui-ci, éclectique comme de bien entendu, s’est glissé le Turn ro red de Killing Joke. Le gaillard vient tout à la fois du rock et du reggae, on ne la lui fait donc pas.
Il est beau, le Mic-Mac, quand il s’enjaille. J’attrape à la volée, sur départ, quelques visages de plus. La joie s’y lit, le soulagement en déride les traits un brin ternis par la pandémie. Ce soir on oublie tout, c’est le son qui a le pouvoir et Le Balbibus, après les Slackers et dans l’expectative des deux concerts cités plus haut, peut une nouvelle fois se targuer d’avoir réussi son coup. On lui doit un temps fort de plus, on salue par la même occasion son ouverture musicale et l’excellence de ses idées. Elles nous rendent la vie plus légère, lui donnent des airs de bringue ou de bacchanale, vous ferez vos choix, et fidélisent un public qui, curieux et les oreilles bien ouvertes, connait la fiabilité de ses évènements.
Photos William Dumont. Plus de photos ici…