Groupe franco-ukrainien, composé des frères Boppe auxquels leur mère Zoïa, cantatrice internationale, a donné une éducation avant toute chose française, The Blizzard Sow a sorti ce Baagou music qui est son deuxième album, initialement, en 2004 chez Cynfeirdd. Celui-ci fut réédité en CD, en 2005, par le très précieux Infrastition. Aujourd’hui Atypeek Music, pas moins recommandable, le ressort en digital. Nombre de guests ukrainiens, roumains, hongrois et napolitains y prennent part, l’opus a par ailleurs été enregistré dans une grange de la banlieue de Sighet, en seulement quelques jours. William Boppe (vocals), El Faroud (guitars, RBox, keyboards, bass, percussions, folk instruments, accordion) y servent des trames inclassables; blues, folk, jazz dérangé, effluves du bout du monde ou plutôt dfe l’est, voix atypiques (décidément…) s’y confrontent magiquement (l’envoûtant A sordid tail from the bayou land, proche des dix minutes).
Tout ça se fait, bien entendu, dans une déviance délibérée. Mathias de Breyne (bass clarinette, alto saxophone), Stéfano Cavazzini (drums, cymbals) et Keny2 (sampler) épaulent la paire dans sa passionnante errance, le bien nommé We are eclipses l’impulse dans des airs folk déjà prenants. On sent, on entend aussi, le désir de pratiquer un son nouveau, marqué par la culture et le goût de ses différents géniteurs pour les chemins de traverse. On n’en fait jamais trop, quand le motif est trouvé on l’étaye, vocalement, avec un cachet récurrent. You walk alone, en seconde place, en fait montre. Finement ciselé, il couple distinction, timbre encanaillé et climat d’époque.
On a ici, le sens de l’atmosphère, du détail qui capte l’attention. C’est le cas, une nouvelle fois, sur The car song qui, au fur et à mesure de son avancée, s’assombrit et met le chant, pluriel, en exergue. Immersif, Baagou music est le remède parfait à la musique aseptisée. My sweetest mustard oppose les voix, ça lui permet une belle dualité. L’une amène de la vie, l’autre est plus « figée », plus narrative. L’étoffe, ça ne surprendra personne, est splendide. Subtile, animée, sobre aussi. Ca suffit, largement, à ce que The Blizzard Sow rafle nos suffrages. Tes yeux au revoir, passé le A sordid tail from the bayou land cité plus haut, instaure le français. Il se fait porter, à l’issue de son début, par un rythme d’obédience électro. Superbe, comme le reste, dans le verbe et le son. Baagou music est un disque classieusement vicié, grandement addictif dès lors qu’on a pu le « dompter » quelque peu. Elastic rick, dans un délire chanté à la Tom Waits quand il « prend la sortie », retient sa tension sans imploser. The internet is full of joy, dans ses traces, se déploie élégamment, selon un canevas plus « normal », j’entends par là moins ouvertement « autre ».
On ne décroche pas, en partisan des sonorités qui emmènent, de Baagou music. The lonely captain of madness nous balade sur six minutes entre beauté et folie bridée, dépaysement et magie musicale s’y nichent et en font toute la magie. On est conquis, est-il besoin de le préciser, de manière irrévocable. La réédition est pertinente, elle prend fin avec ce They dance at night fait de sifflements, d’un enrobage épuré. Le chant, lui, susurre, se tient prêt, presque en ensuite à vociférer…sans pourtant le faire. Sa démence, pourtant, point et contribue à grandir ce Baagou music dont on salue le retour. Il détient, sur ses dix plages d’éclat, tout ce qu’il faut pour prendre l’auditeur dans sa nasse, jusqu’à posséder ses sens et l’arracher à ses ennuyeuses commodités, l’initiant de fait à un trip sans détour.