Rennais, si j’ai bien compris en triant la tonne d’infos reçues à son sujet, Mô’Ti Tëi a d’abord roulé sa bosse dans diverses formations, en tant que chanteur-guitariste. Il s’adonne aujourd’hui en solo, désireux de se réinventer, à un créneau folk dont le mérite est avant toute chose…de constamment brusquer le genre, l’extirpant magnifiquement de l’ennui qu’il génère dans sa forme la plus stricte. Rodé au live, sa rencontre avec Marlon Soufflet (chanteur, batteur, mais aussi ingé son touche à tout) fut décisive: en y adjoignant le soutien de 70 personnes, de la ville de Rennes et la monnaie sonnante et trébuchante de ses cachets de concerts, le Breton finalise ce disque vivant et vibrant, qui fait suite à « Chapter III : A pie was in the sky », sorti lui à l’été 2020 en autoproduction.
On y entend, dès les premières notes, émotion(s) et sincérité. La voix a du relief, elle parcourt un panel étendu et peut passer de la finesse à des élans enflammés sans trembler. C’est fréquemment le cas, Leopard’s roam qui ouvre le bal se pare de ces tons changeants, mariant pureté et énergie. La flamme est là, audible. Elle anime et transcende Disfant madness, aux percus dépaysantes et à l’énergie acoustique imparable. Mô’Ti Tëi est vrai, son discours riche et communicatif. Il se fait, parfois, folk-rock et prend des airs colériques à la Wovenhand dans sa version épurée, dépouillé de son électricité mais ayant conservé la ferveur impulsée par David Eugene Edwards.
C’est, entre autres éléments maîtrisés, ce qui fait pencher la balance du bon côté. Des traces de blues, de rock, un allant dans le jeu font qu’à chaque titre donné, on adhère. Sans rémission. Falling down, « retombé », se dénude. Avant, toutefois, d’instaurer des éléments plus orageux. Tout ça dans une distinction dont le chant évoque par bribes le timbre de Sting. Si si. A Rennes résident d’excellents projets, Mô’Ti Tëi en fait sans conteste partie. Son émoi n’est pas feint, mais fin et emporté. On prend. Dying of boredom n’ennuie pas, démentant son intitulé. On le croirait, à l’écouter, joué à nos côtés. Les envolées vocales du bonhomme, entre tons à la Jeff Buckley, pleins de Grace, et colère racée, asseyent sa valeur.
On passe ainsi le cap de la moitié du disque, sans aucun dommage. Gently kissing, à son tour, met le chant en valeur. Il se fend d’encarts splendides, qui me font songer à 16 Horsepower. Dans son dosage juste, entre ire et instants chatoyants, Mô’Ti Tëi performe sévère. Awesomely human, comme l’insinue le titre suivant, il se livre et se délivre. Il y a, dans ce qu’il entreprend, de l’amour et, très certainement, une dose d’amertume que Well Dressed Exile : Second Humming met joliment à distance.
Photo Anne Marzeliere.
Son oeuvre le démarque ostensiblement, sur ce morceau surgissent des giclées acoustiques furieuses. L’idée d’embraser son registre, dans la fréquence, est louable. Elle l’emmène plus haut encore. Brandnew start joue là un folk-rock à la New Model Army, quand Justin Sullivan et consorts attisent le feu et font rougeoyer leur élans folk. L’ornement, personne n’en doutera plus, est imaginatif. Voilà un album qu’on ne peut anticiper, en termes de contenu, et dont les contours offrent une diversité estimable. Travel through Ecuador, ultime pièce blues-folk aérienne, jouée, encore, avec style et cachet, vient une dernière fois galvaniser l’auditeur. Animée, ombragée et concluante, elle achève un album irréprochable, personnel, loin du banal qui fait souvent flancher la mouvance folk.