Corse, Kháos on Gaïa unit Torhia (Voice, drum, guitar) et Jbaâl (Synths). Leur son tient en un alliage, prenant et osé, de trip-hop et de dark-folk suivant une recette maison, où chant ample et sons singuliers contribuent fortement à doter le projet d’une couleur bien à lui. The Cage est le premier album du groupe; on y dénombre huit morceaux magiquement envoûtants, qui suscitent des émotions diverses. Nul besoin, d’ailleurs, d’attendre pour se faire transporter: d’emblée Prophétie, bien que réduit en durée, allie tribalisme, sons psychotropes et rythme « from the desert ». L’identité, déjà, se dessine. Faun, pas moins captivant, réitère la chose sur un format bien plus étendu. La symbiose est évidente, le trait fin et tourmenté. D’ambiances froides en chaleur du chant, de volutes de synthés en cadence marquée/immuable, l’obsession guette au détour des titres joués. Je le pressens, je le jurerais déjà: Kháos on Gaïa se singularise, jusqu’à nous apporter la certitude d’avoir là, entre les oreilles, une entité sans équivalent. On se régale, presque perversement, des souillures soniques qui habillent le disque. De sa majesté, de l’excellence sans faille de ses constituants.
Ainsi Annabel Lee, basé sur un texte d’ Edgar Allan Poe, broie t-il d’abord du noir, presque « dronisant », avant de suinter un dark-trip-hop dépaysant, vocalement et instrumentalement, c’est une habitude chez Kháos on Gaïa, superbe. Sur dix minutes faussement sereines, à la vêture grisée et grisante, Jbaâl et Torhia poussent le bouchon plus loin encore, au point d’avoir raison de nos défenses. On baisse la garde, convaincus de l’impact et de la différence affichés. On se laisse porter et écrouer dans un monde nouveau, l’éponyme The Cage plane et s’envole pour, si c’était encore de mise, entériner l’emprise de ce disque immersif au possible. De Corse émanent jusqu’alors peu de projets, la paire en présence vient donc combler le manque avec un brio bluffant. Avec, dans le même temps, une vision individuelle qui porte le tout aux nues.
Alone with us, de par la répétition de ses motifs, de par son chant à nouveau marquant, se dénude et éclaircirait presque le fond, habituellement obscur. Il amène autre chose à la palette déployée, qui n’en prend que plus d’envergure encore. Avant, sur Stay…, de répéter le procédé: chant, décor restreint, sobre. Au bout du compte, une beauté pratiquement à nu, aussi concluante que quand ses contours s’épaississent. Ce qui se produit, d’ailleurs, quand Stay safe survient pour se faire indus, déroutant « as usual », d’un sombre contrebalancé par les vocaux. Il est rare, donc plus que plaisant, d’enfanter un tel rendu. L’instrumentation, sauvage, vire à la noise classieuse. Lancinant, sûr de sa force, ce Stay safe assied définitivement la passionnante particularité de l’album.
A l’issue c’est Shadow work, élégamment tumultueux, qui clôt l’affaire. Plus de six minutes troublées et bellissimes, bardées d’espaces sonores à l’effet avéré, dont les « salissures » confèrent à The Cage un surplus de séduction. L’ensemble se Corse (facile), l’auditeur est à la fois sous le charme et dans l’addiction. Prophétie, en amorce de l’opus, s’est donc vérifiée: Kháos on Gaïa vient de signer, par le biais de ses huit plages ensorcelantes, un effort novateur, jamais pris en défaut d’un point de vue qualitatif et encore moins en termes de personnalité dans le son et l’approche. Splendide.