Peu s’y attendaient, beaucoup la plébisciteront. Une compilation, double vinyle avec cd inclus, regroupant la fine fleur de la scène amienoise s’étendant de 1977 à 1996. A l’initiative du projet se trouve Vincent Schmitt, passionné de rock, créateur de la page « Rock en Picardie« , qui au fil de ses richissimes collectes a éprouvé l’envie d’entendre le son des groupes recensés. Il s’est entouré, désireux de ne pas oeuvrer seul, d’individus aux connaissances pointues, fiables, d’un bel apport à la naissance de l’objet. Jugez donc: le regretté Patrick Mallet, son frère Jean-Luc, l’aguerri et Bowiesque François Long, Tonton Ringo pour la superbe pochette, Thierry « MALLE A DISQUES » Taupier, Bruno Wlodarczyk, Eric Sampite ou encore Pascal Ponthier ont contribué à ce que survienne ce document unique, avec le support de Musique en Herbe.
Une association de bienfaiteurs en quelque sorte, qu’on ne remerciera jamais assez pour le travail fourni, remarquable, et l’impact sonore du tout. 25 groupes dont la plupart n’enregistrèrent que peu ou prou, suivant un panel large qui part du punk-rock pour atteindre la planète fusion en passant par le rock impétueux, y sont honorés et à l’issue de l’écoute un constat s’impose: sur cette vingtaine d’années Amiens, déjà, grouillait de combos méritants.
C’est donc parti pour une investigation édifiante, qui débute sur le frontal Rocker de Banlieue Nord, enregistré en 77 et un brin Wampasien. Direct mais aussi bien joué, il électrise et énergise, twiste et offre un solo superbe, dans un ton bluesy-rockab’. Ca démarre en fanfare, l’ordre chronologique pur lequel l’équipe a opté permet de plus de mesurer l’étendue stylistique inhérente à l’ensemble. Insecticide, avec Mercedes, poursuit victorieusement. « Mercedes, il ne faut pas que je te laisse! », me surprends-je alors à brailler, de bon matin, dans mon immeuble assez silencieux pour que j’écoute les 2 disques à volume poussé. Stress, avec Achevez-moi, dans un rock hybride et joliment serti, doté d’un saxo bien en vue, étire encore le champ musical.
Au bout de trois titres, seulement et déjà, on se frotte les mains. On explore le package avec curiosité; on relève, sur les line-up des groupes impliqués, la présence d’artistes aux vertus certaines, dont certains font encore les beaux jours sonores de notre cité amienoise. Arrive alors Guerre Froide, locomotive, si l’on peut dire, avec son Ersatz cold et synthétique, de ce Amiens Underground qui va bon train. SK Niks, de son Camp N°0, lance ensuite un effort punk-rock minimal et efficient, aussi saccadé qu’entrainant. Ave Tenebrae le suit, tapi dans l’ombre, en signant son Taxi Driver bien cold, aux guitares remontées. Pas de Panique concluant la face A à l’aide d’un Instinct rebelle urgent, d’une portée similaire à celle des autres compositions.
Face B donc, dans la foulée, instaurée par Facel Vega. Un instrumental aux airs expérimentaux, rude et grinçant, mais aussi subtil et inventif dans son décor, que relaie Plem et son Bon baiser de Honolulu. On arrive, pour le coup, à des tons plus new-wave mais ratissant large, pas moins concluants. Le Crime des Enfants Perdus fait reluire, après ça, un rock doucereux, dont le « Barcelona » érigé en refrain accroit la séduction. Mazette, quel bonheur que ce Amiens Underground! Gegenacht, sur Donc je fuis et ses atours indus-noise chantés par un certain Yves Royer, fait ses preuves à son tour, imité par Septembre Noir et l’amorce joueuse de son Joé Cadillac qui, bien vite, vire à la cavalcade punk.
Efficace, sans ratures ni fioritures. Tout comme Putain d’hiver, affublé d’un 4 cavaliers à la dynamique elle aussi punk, mais zébrée de sons dépaysants. On arrive à ce moment au mitan des festivités: Dame Folie, au titre éponyme, met fin à cette face en pulsant, porté par une rythmique serpentine. L’auditeur que je suis, conquis, se félicite d’avoir acquis cette double rondelle qui en plus d’être belle regorge de pépites du cru et impose un panel sans réelles limites. On est alors en 1987 et une dizaine d’années restent à parcourir, émaillées bien évidemment d’autres perles remises au goût du jour par la team Amiens Underground.
C’est l’époque Lune, l’époque Wazoo. Places incontournables. L’époque, aussi, où les caf’conc’ tournent et fédèrent. La face C révèle par conséquent sa flopée de formations douées, à commencer par les chants virils de Commune génération, signé Le Clone. Punk et « alterno », il riffe cru et file droit. Danny Wilde, lui, fait gicler un rock vitaminé, high-energy, troussé par les frères Margerin et leur acolyte Bruno. On a notre compte, ici, de petits hymnes à l’amienoise, qu’on n’a pas fini de faire résonner via nos platines sérieusement mises à contribution. Gang Jah Gang, qui déboule avec la fusion reggae-rock aux grattes dures de Cocaïno Maniac, venant poser un pavé de poids sur l’édifice Amiens Underground. Avant que Le Fantôme, ardent et tout en tension, ne se distingue quand vient son tour.
Il n’est pas concevable, au vu de la diversité du produit, de s’en lasser. S’il ne peut évidemment être exhaustif, l’aperçu est suffisamment éloquent, suffisamment persuasif, pour rafler la mise. Il ne faiblit jamais; Strangemen, avec Skunk all, le fait groover et fusionner avec une maitrise digne des plus reconnus. Phrasé tchatcheur, chaleur d’un registre ondulant. The Trices, dans la minute suivante, pose un Dreaming boy pop-rock dopé à la vitalité, sans défauts. Il breake, s’offre une escapade enflammée. Everything’s all right, comme diraient les Anglais. Stay free but stop that noise défouraille, l’énergie est punk. Viva Espana, clament-ils.
La dernière ligne droite arrive: face D ou face 4 peu importe, la salve de fin nous livre d’emblée Je ne veux, de Pour l’Exemple. Il montre…l’exemple, vivace et mélodieux, émaillé de motifs décisifs et d’une basse charnue qui dérouille les coccyx. Scientifique Persuasion joue ensuite Le chemin du sacrifice, d’abord délicat, qui calme le jeu de belle manière. Il flirte avec le post-rock, en réitère la répétition. Son second volet instaure des voix, monastiques, et vire presque dark-folk. La richesse de tons, sur Amiens Underground, est remarquable. Mental Opression, avec The eyes of stone, s’élève dans les cieux. Climatique, il est aussi sombre, bien paré. Ses voix louchent vers le goth, son ornement en assure le parfait contrepoint. Une fois de plus, l’éventail s’élargit. Pour moi, arrivé sur la scène amienoise à la moitié des 90’s, n’ai que peu connu l’ère concernée, cette sortie est un pur bonheur. Elle me comble, rassasie ma soif de sons d’ici à la largesse audible. Il finit d’ailleurs splendidement, ce double vinyl+cd: Morituri, avec Down, interprétant un titre sous tension, aussi finaud que nerveux, dans une magnifique retenue. Puis c’est l’implosion, enragée, éruptive, en final de l’ effort d’équipe merveilleux qu’est Amiens Underground.
Je renouvelle, chaleureusement et avec reconnaissance, mes hommages à l’équipe l’ayant construit et mis en vie. Je ne peux que vous en conseiller l’acquisition, possible via les deux pages mentionnées ci-dessous. Beaucoup l’ont déjà entre les mains; quant aux groupes mobilisés c’est sûrement une félicité énorme, une émotion non-feinte, que de tenir entre leurs pognes fébriles ce témoignage merveilleux de l’excellente tenue, sur deux décennies bouillonnantes, d’un vivier amienois qui encore aujourd’hui nous régale de projets à suivre de près.