Lotus Titan, c’est du rock, libre. Et de la poésie, tout aussi libre. C’est le choc des deux. Je parle de choc, délibérément car la rencontre est explosive, en colère et singulière. Odyssées, le premier album du quatuor du 31, expose en effet sept pièces où le mot percute le riff, où les rythmes cinglent tous azimuts. Frontal et/ou narratif, l’opus démarre sur un Heroine au sein duquel batterie claquante, séquences électro et riffs broyeurs, couplés à des mots tragiques mais teintés d’optimisme, démarquent le projet et le postent entre puissance et saccades plus tempérées. Lotus Titan est engagé, de toute contrainte il est dégagé. Jeterrible, d’une durée plus étirée que le titre inaugural, roule et se cogne, rebondit, pose une accalmie. Il faut suivre, le voyage est loin d’être linéaire. L’instrumentation donne du poids, du sens, au discours de Julie Castel Jordy (Texte, voix, clavier, thérémine). Gérald Gimenez (Composition, guitare), Dimitri Kogane (Batterie), William Laudinat (Trompette, synthétiseur) et Arthur Ower au son. Lesquels s’appliquent à fonder un univers à part, sauvage, fusion, rock mais sans caste précise d’appartenance.
Prog, (néo?)métal, Floydien dans certaines phases, psyché: il y a de tout ça mais Lotus Titan n’a pas d’équivalent. Poétique, climatique et tout autant épileptique, il exige d’être dompté. Ce Jetterible versatile, asséné, progresse par vagues incoercibles. Ses guitares mettent le feu, sa rythmique bondit. Ses textes sont aussi directs qu’ingénieux. Leur diction est, ici, frappante. De toutes parts fusent, et se télescopent, les sons fous de l’équipée sauvage. Un break arrive mais il ne fait que relancer, plus vivement encore, l’assaut des quatre collègues. Rendez-vous. Ironique « ode » à la déshumanisation, à la dépossession. De soi. Longtemps retenu, la chanson finit par lancer des éclairs. Tonnerre. De Brest, assurément. C’est dans ses excès, ses poussées de rancoeur, de « sonisme », que Lotus Titan Excelle. Le trompette, de soie, assure là un beau contrepoint.
Avec Silence, on s’en tient à un canevas posé, où le mot prend les commandes. Dénué de tout habillage, ou presque car tout de même, une fine étoffe l’enrobe, il s’exprime en l’occurrence sur un ton moins vindicatif. Comme pour mieux faire poindre, au delà de visions teintées d’amertume, l’espérance que celles-ci ravivent. Une forme d’Odyssée peut-être. Qui sait? Douze minutes, pour le coup, d’abord noires et venteuses. Le fond, menaçant, finit évidemment par ondoyer. Mélange, habile, entre grésillements « psychélectro » et touches rock au nerf palpable. Ca ne se qualifie d’ailleurs pas, ça s’écoute. C’est unique, ça vrille, ça fait du bruit mais sans dénoter. Déjà-vu? Sacrément pas. Le morceau en question allonge six minutes entre riffs massue, boucles spatiales et, comme à l’habitude, textes qui frappent l’imaginaire. On (en) dira ce qu’on veut, certains fuiront même. Mais l’approche de Lotus Titan lui vaut, à l’évidence, un opus nerveusement décalé, précieux de par sa différence.
Nelumbo lutea, en guise de final pas banal, griffe et lacère. On croirait entendre, vocalement, une Casey dans ses fréquents élans de colère à la mise en mots sans fard. La trompette, à nouveau, saupoudre ce terme offensif comme il peut être jazzy, mélodique. Sous tension modulée et dans une inventivité surprenante, Odyssées justifie son appellation, crée des paysages rarement pénétrés, et renvoie une identité forte, puissante. Raison de plus pour l’adopter et le mettre en avant, en une ère où l’on porte au pinacle, de manière déplorable, des « créations » sans âme ni profondeur.