Sacrebleu, pas des bleus ceux-là! Et sûrement pas des pleu-pleu, occupés qu’ils sont à enfanter un son bâtard (comprenez hybride), à la tranquillité trompeuse, redevable à la noise, au jazz, au post-rock sans l’ennui qui parfois le truffe, et émaillé de narrations versatiles dans les tons employés. Lent, donc. Un patronyme qui sied bien à ces gars-là, lesquels prennent leur temps pour déverser leur délectable fiel sonore dans nos esgourdes éprises. Pour cela, ils usent d’un opus appelé Croix-bâtons, détenteur de six titres fous, hurlants, posés, dramatico-contemplatifs, musicalement merveilleux. Un produit Araki, je tiens à le dire, en coproduction avec le label Tricollection. Il y a même du Gainsbourg dans le climat, dans les notes feutrées mais textuellement tendues (un superbe Le snack, aux douze minutes magiques et magnétiques). Un Gainsbourg de démence, de génie créatif dos tourné à la prévisibilité. Sauf qu’ici c’est Lent, sans empressement, qui ose et fait gicler sa prose. Ses histoires parlent comme un livre, renvoient autant d’attraction qu’un bouquin dans lequel on se retrouve entièrement immergé. Le dérapant La pile, aux contours free-jazz, impressionne d’emblée. Bien que réduit en temps, il génère fracas et verbe exalté. Lent met peu de temps, bien que…Lent, à se démarquer. Guillaume Aknine (guitare), Valentin Ceccaldi (basse), Gabriel Lemaire (saxophone, clarinette, flûte et grigris), Robin Mercier (voix) et Florian Satche (batterie), dans un unisson sauvageon, innovent et trouvent un vocable inédit.
Le sax couine, alors nous aussi (l’éponyme Croix-bâtons). De joie auditive, de plaisir car il est bon, aujourd’hui, de jouir d’un tel produit. Le morceau retient dans un premier temps son bruit. Mais pas ses mots. On s’y pose des questions. Matérielles, existentielles, volontairement superficielles, profondes, réelles. Le refrain fait dans le noisy, à la manière de…Lent bien évidemment. La sax revient, tout à la fois ample et déchirant. C’est l’un des éléments prépondérants de ce Croix-bâtons de taille et sans failles où Attendre, qui décline l’attente sous toutes ses formes et en célèbre l’omniprésence dans notre quotidien, opère un retour à un milieu plus serein. Du moins le croit t-on car des soubresauts moins proprets, une fois de plus bien fagotés, surgissent dans la quiétude. C’est beau, c’est prenant, un peu crade aussi parce que quand c’est trop propre, on s’en va. L’effet se propage sur près de neuf minutes, l’esprit est happé. Il y a du Gontard, dans le texte et dans la vision, chez Lent. Tapez 1, sur une trame magnifique, sensible et peaufinée, part ensuite dans le vent. Il se fait psyché, psych-pop peut-être, se refuse à ce qu’on le catégorise. De l’Italien (si je ne me trompe) l’orne, avec une certaine joliesse. Lent aime le boucan, mais fait aussi ses preuves dans le sensitif. Avec Le snack, cité plus haut, on tutoie des sommets d’impact narratif. Lent parle, nous parle et interpelle nos sens.
Lent, avant de partir, nous fait Coucou. Ses motifs se réitèrent, son fond se tend, ses paroles tissent une fois de plus un canevas captivant, angoissant, qui explose en une gerbe sonique. Trop bon. Je continue à déplorer, dans nos terres, le peu de crédit accordé à ce type de groupe, à ces structures qui, sans cesse, promeuvent l’audace. Ah bah si j’ai capté: en France, on tire trop souvent vers le bas culturel, vers le polissage et l’uniformisation. Ici, rien de tout ça: on fait des loopings, on cherche un ailleurs, on imagine des paysages sans égal. Croix-bâtons, excellentissime, en est tout simplement le rendu le plus probant qui puisse être.