Du Canadien de Montréal Sagot, Julien Sagot pour être plus précis, j’ai grandement aimé le Valse 333 (octobre 2014) puis Bleu Jane (mars 2017). Entre feutrine des mots et moments de tumulte cold, couplés à des temps de grâce décisifs, le premier posait un cadre saisissant, repris avec adresse par le second. Avec cette nouvelle cuvée éponyme le flambeau, c’est bien peu de le dire, est à nouveau porté bien haut et respire une sérénité, un ton apaisé mais versatile, qui voit le ressortissant de chez Simone Records, en quelque sorte, boucler la boucle. Au son de Sexe au zeppelin, à la diction qui évoque le grand Gainsbourg, à la coolitude sur fond tout de même, après l’amorce, troublé, le bonhomme débute fort bien. Sa voix s’envole, légère, porté par l’instrumentation. Psyché, pop dont on ne sait quelle époque, Sagot s’applique ensuite à trousser une sorte de trip-hop aux bruitages dérangés (Cendre et descendre). Le verbe est superbe, l’enveloppe jazzy et vaporeuse, expérimentale, un peu mentale aussi. Légèrement free, de par son saxo si beau, et de nature à solidifier un troisième exercice déjà plaisant. Serre son parfum, cordé, le sera donc à l’identique. Si on trouve, en l’occurrence, moins de « détours » que sur Valse 333 -quoique-, l’aboutissement provoque pourtant l’approbation.
Sagot, de plus, instaure des montées qui, au moment de la rupture, redescendent…ou s’embrasent. Musicalement, son disque est à la hauteur, flamboyant même. Sans trop, cependant, de politesse outrancière. Les cordes vrillent, on n’hésite pas à allier le beau, voire le magnifique, avec des passages plus tourmentés. On le fait bien, de manière très assurée. Morte alitée, sur un ton syncopé un brin trip-hop à l’instar de Cendre et descendre, enfumé, groovant et d’un velours de voix attachant, assied Sagot sur les cimes du son. On y entend, on approuvera encore, des encarts moins bellots. Et même, oh joie, des riffs crus. Continue Julien, tu es très au point! J’aime cette déviance, l’audace sonore brute-distinguée de ce que fait l’artiste. Son morceau s’achève dans un fracas noisy ahurissant qui, vraiment, ne gâche pas le travail.
Pour lui faire suite, Fraulen se dope au sax de soie, au mot décliné sans hâte et toujours, qui en doutait?, qualitatif. C’est de la grande oeuvre, aussi soucieuse de bien se tenir que de partir, dès que l’occase pointe, dans des pistes plus abruptes, plus « abimées ». C’est ainsi que sonne le terme du dit titre, dont on intègre à peine la magnificence que Toc toc frappe à la porte (facile…), dans un format rock qui ondule, riffe et groove suivant des scories un tantinet funky. Encore une réussite, je n’ai plus qu’à retrouver mes opus antérieurs de Sagot pour, en guise d’apéritif du soir, les faire rugir élégamment dans mon domicile. Tant pis pour la cohabitation, elle en souffrira mais je ne bouderai pas mon bonheur.
Ce Toc toc, d’ailleurs, dévie lui aussi magistralement. Sagot aime la belle étoffe: il n’en rejette pas, pour autant, les temps bruyants et incartades dépolies. Ca lui va, ça lui va bien et même au delà, depuis maintenant 2012 et un Piano mal sur lequel il faudra bien, autant que pour les autres, recoiffer le casque. Mais Vérité détournée (une spécialité…française? Je digresse…), turbulent, fait de sons à l’harmonie parfaite, me retient pour l’heure ici. D’autant que son terme, agité et débridé, ouvre une nouvelle porte derrière laquelle on se sent chez soi. Les non-lucides argueront que l’essai ne comporte que huit titres. Ils ont beau dire, tous sont d’un magnétisme incroyable. Les heures fixes, dans un amical raffinement aux contours paisibles, prend toutefois soin, comme chez un Rodolphe Burger, de souiller son arrière-plan. On ne résiste plus: Sagot fait bien plus que s’affirmer. Epaulé par François D’Amours : saxophone baryton, ténor et soprano; Antoine Binette Mercier : vibraphone sur Fraulen et Frannie Holder : back vocals sur Morte alitée et Cendre et descendre, il impose un carnet de route non seulement fourni, désormais, mais également bluffant de dextérité.