Disque attendu avec émotion et fébrilité, enfanté dans la douleur puisque Philippe Pascal, l’emblématique chanteur de Marquis de Sade, n’est plus, Aurora, d’une incontournable formation rennaise désormais rebaptisée en Marquis, étincèle pourtant à chaque titre livré. Collaboratif, soudé, collectif et rutilant, il ponctue un retour de marque. Chez Marquis on est bien mis, on suinte la classe. Mais on n’oublie pas, sur une bonne moitié de l’opus, de faire rugir le son. Un jeune chanteur Belge, Simon Mahieu, assure le chant et revigore une collection qui, dès l’incandescent More fun before war, part…à la guerre, en artificiers du son, pour faire retentir un rock de caractère. Un rock au style certain, fervent. De ceux qui, ardents, franchissent l’écueil du creux avec aisance. European psycho, qui m’évoque un TC Matic, prenant le relais avec la même force de frappe et de séduction, tout à la fois mordant et mélodieux. Alors que Sergei Papail et Christian Dargelos, forcément bien conNus du Marquis, s’illustrent sur le post-punk vif et mélodique de Holodomor. Ses guitares dérapent, s’embarquent dans une vrille délicieuse à la Joey Santiago. Son chant est exalté, sa rythmique frappée à la trique.
On approuve, le rendu livre ensuite Je n’écrirai plus si souvent. Etienne Daho, de son organe mythique, colore et satine une pop-rock aérienne autant qu’emportée. Magnifique, avant Um immer jung zu bleiben ombrageux et imparable. Richard Lloyd, en personne tient la « lead guitar »; là encore on s’offre, et on envoie, du lourd. Um immer jung zu blieben nous avons, nous, auditeurs comblés, Aurora. Dont le Acidade escondida racé, bluesy et subtil, mais également bruissant, amène une touche dépaysante, en Portugais dans le texte. Ceci tout en consolidant, s’il le fallait encore, les bases d’un Aurora merveilleux. Lequel, varié et musicalement supérieur, pourrait se permettre de toiser la concurrence. Mais non, il se « contente » d’ « orifier » tout ce qu’il met en place.
Ainsi Brave new world, où on note la présence, excusez du peu, d’Ivan Julian, James Chance et Marina Tchewsky, fronwoman des excellents Tchewsky & Wood dont le Live Bullet Song est lui aussi un must absolu, fait mouche à son tour. Le sax, évidement, illumine et fait tanguer le titre, de même que les chants unis. En matière de saxo qui couine et déchire l’espace, on en vient d’ailleurs, ensuite, à ce Soulève l’horizon où Daniel Paboeuf, armé lui d’un Ashes? récent et méritoire de bout en bout, impose le velours du sien. Dirk Polak de Mecano gère le chant, l’évidence s’impose: idéalement entourés, Franck Darcel et consorts se sentent pousser des ailes, résilients et performants. Qu’il eût été fier, Philippe, d’entendre ça. Ce Ocean reprenant Lou Reed et sur lequel Dominic Sonic, un autre local disparu tous les jours regretté, partage le chant avec Simon. Deux époques, superbement croisées, s’embrassent. La beauté, la quiétude douce-amère de la chanson, majestueuse, hissant l’album vers le pic de la création musicale. Le final s’embrase, Xavier « Tox » Géronimi s’y distingue. Pour le flanquer d’une digne suite, on fusèle après cela un Flags of utopia attisé, taillé dans un rock aux griffes pointues.
Photo Richard Dumas
Plus loin Glorie, chants urgents et typés en bandoulière, marie force rock et syncopes, flamboyance du sax. Aurora, plus qu’un nouveau départ, sonne comme l’aube d’une vie nouvelle, de rage et de mal, de verve constante et d’élégance bluffante, d’inspiration intarissable. Zagreb, finaud, lui met de la flanelle autour des ailes. L’envol est magnifique, la guitare s’y paye une escapade brève et splendide. Ad Cominotto, aux claviers, en accroît la joliesse. La fin arrive alors, elle prend des allures psych-pop un tantinet cold au son du Voyage d’Andrea. Un court instrumental, chatoyant, en guise de terminaison. Ca valait le coup, pour une telle issue, de patienter en rongeant notre frein avec pour toute pitance, inégalable, usée par les écoutes successives, les efforts des formations précédentes. Aurora se doit, flanqué d’un digipack aussi attractif que ses parfaites ritournelles, de figurer sur toutes les étagères, aux côtés d’un Dantzig Twist ou encore d’un 83.
Frank Darcel, Éric Morinière et Thierry Alexandre, avec l’apport d’un Simon Mahieu convainquant de A à Z, signent donc un opus de la plus belle des étoffes, dans le souci d’un collectif où coopèrent des noms qui, loin de se regarder le nombril, concoctent des trames pour le moins enthousiasmantes. Le tout avec une énergie aux déclinaisons diverses et accomplies, au point d’engendrer un rendu que je classerai sans hésiter parmi les toutes meilleures galettes de ce début d’année. J’oublie peut-être au passage, vu leur nombre, quelques conviés; qu’ils m’en excusent, leur contribution à l’album est considérable et vaut, cela va sans dire, l’attention la plus poussée.