A l’orée de l’album Mysore Pak, destiné à sortir ce 29 janvier, et suite à la ressortie de Treat/Brilliant, originellement sorti en 1994, One Arm répond aux questions de Muzzart…
1) Bien que « fouineur » invétéré, je ne connaissais pas One Arm avant de découvrir votre excellent Mysore Pak, appelé à sortir le 29 janvier. Pouvez-vous m’éclairer sur la naissance, du groupe, le parcours de chacun avant l’évènement et les sorties/activités du projet jusqu’à ce jour ?
ONEARM :
(Laure) Ravis de pouvoir « encore » créer la surprise… Alors c’est un peu long car il convient d’éclaircir la formation hybride sous-jacente, ce qui permettra aussi de mieux comprendre les sorties actuelles en chaîne (réédition et nouveautés).
One Arm existe depuis environ 1992, dans un line-up composé initialement de 3 « ladies » (Laure (basse/chant), Isabelle (Guitare) et Marine (Batterie + boîtes à rythmes, ce qui avait la particularité de nous mettre à dos les ingés-son en concert…) et Caroline aux claviers, pendant un temps trop bref. Au cours de cette période faste et dans un environnement musical particulièrement riche, nous avons pas mal joué (France et étranger – Suisse, Belgique, Hollande, Allemagne, Angleterre) en compagnie d’excellents groupes, autant issus de la scène française qu’internationale, et ce grâce à Zoorganization, très actifs et inspirés. Nous avons édité un 45T vinyl avec les titres « Treat » et « Brilliant » (pochette sérigraphiée de Pakito Bolino), miraculeusement ré-édité en version numérique sur Atypeek il y a peu, une K7 9 titres (pochette du même auteur qui faisait suite à la première) et nombre de participations à des compilations telles que « Ah quelle belle journée » (Amanita), « Fat Butt without Love » (FBWL), Abus Dangereux ou le « Tape à l’Ogue » (Ubu Tapes).
Suite à une scission du groupe, nous avons décidé de continuer, mais sous une forme un peu revue, avec toujours Laure (basse/chant) et Marine à la batterie. Et pour opérer le changement, nous avons refait appel à Dilip (ex-Coronados, illustre groupe de garage rock, et ex La Mâchoire où il officiait avec Pakito Bolino) à la batterie et à Rico à la basse (ex-La Mâchoire aussi). Dilip était déjà notre ingénieur du son studio et parfois concert, et nous avait rejointes en 95 à la batterie déjà… Oui, 2 basses donc, et 2 batteries aussi ; le challenge était de taille, mais tellement excitant.
Nous avons enregistré un album dans notre studio maison (sortie auto et promotionnelle et une sortie plus officielle « manquée » sur CD)… Nous avons fait quelques concerts, trop peu, mais notamment, avec Sonic Youth à Paris, à l’Elysée Montmartre. Puis à force d’éloignements géographiques incessants, tout cela s’est un peu étiolé.
2) Comment l’enregistrement de Mysore Pak s’est-il déroulé ? De quoi traitez-vous dans le disque ?
ONEARM : L’enregistrement s’est déroulé en deux temps, à chaque fois maison… Prise de son, nouveaux instruments, samples et mixes. Une première salve il y a des années, puis nous avons été recontactés il y a quelques temps pour réanimer le projet. Il a donc été refaçonné, de nouveaux morceaux enregistrés, d’autres remixés, entièrement remastérisé (Frédéric Alstadt/Angström – Didier Lemarchand), avec de nouvelles collaborations. Un CD (Alara Music) sera disponible en plus de la version numérique, appuyée par Atypeek Music.
En ce qui concerne les sujets traités, ils n’ont pas vraiment changé depuis le début, le monde n’ayant pas non plus évolué, en tout cas dans ses aspects les plus exaspérants et dévastateurs. Il est souvent question de problèmes affrontés par les femmes, et qui tentent de s’y opposer (patriarcat (Real), violences domestiques (ESG), viols et relations avec la justice (Hitch-Raping)), intimidations (Fiddle – Top Tone), mal-être urbain (City – Space is the Place) et d’autres sujets plus abstraits, stellaires ou littéraires (One Arm). Il y aussi quelques instrumentaux, indispensables pour créer plus d’espace, d’autonomie pour l’auditeur et l’inciter à interagir avec son propre intérieur…
3) Le contenu de l’album entre-t-il en résonance avec la période actuelle ? En ce sens, la musique a-t-elle pour vous quelque chose d’un tant soit peu « thérapeutique » ?
ONE ARM : La période actuelle prouve bien que les sujets énoncés ci-dessus n’ont absolument pas disparu avec la crise que nous vivons. C’est avec horreur que nous constatons que, par exemple, celui des femmes n’a fait qu’empirer. Tandis que l’on entend toutes ces voix s’élever en énonçant que cet épisode leur aura permis de se remettre en question, on assiste parallèlement à une recrudescence effrayante de toutes ces horreurs.
Thérapeutique pour nous, non… Ou alors, déjà depuis l’enfance…
4) Vous semblez apprécier de collaborer, est-ce pour vous une manière d’étayer vote registre, de le renouveler quelque peu (sans, bien entendu, le dénaturer) ?
C’est inspirant, les univers parallèles en fusion. Ce sera le cas, je l’espère encore plus à l’avenir. Vu l’espace qu’il nous faut organiser (2 batteries et des boîtes et samples, différentes couches de chant, ça prend déjà beaucoup de place), alors il s’agit d’opérer en amont, et pas à la fin… Nous avons toujours eu des projets individuels en parallèle, question de survie mentale et « expérimentationnelle ».
Par exemple, le morceau « Space is the Place » vient d’une formation montée avec Dilip et moi-même (Laure), Sigmoon (ex-Von Magnet) et DEF (DEF) issus de l’électro, au sein d’un groupe de banghra electro noise appelé… « Mysore Pak ».
Visiblement, les recoupements ont leur importance, et c’est tant mieux, la famille est sacrée ! La participation avec Annie Bandez (aka Little Annie, Annie Anxiety – On-U Sound), vient d’une véritable envie de coopérer en duo avec mon immense amie de 35 ans, sublime artiste, et je trouvais le morceau idéal. Rêvé, fait…
5) Le 15 janvier dernier vous avez aussi sorti ou plutôt ressorti Treat/Brilliant, premier single paru à la base en 1994. L’initiative vient t-elle d’un désir de le remettre au goût du jour, ou de mettre l’accent sur ce qu’a pu faire One Arm jusqu’alors ? Quel est votre regard, à l’heure actuelle, sur ces deux titres sortis il y a déjà, ou presque, 30 ans ?
ONEARM : Eh bien, l’idée vient de Christophe Feray (Atypeek). Nous en avons été à la fois surpris.es et super heureux.ses. J’avoue, nous avions toujours nourri une petite envie de recompiler/remasteriser certains morceaux de One Arm d’origine (les filles) dispatchés sur des supports un peu disparates, de rétablir ce fil conducteur, et pas uniquement au niveau du nom.
Donc excellente initiative ! Je trouve que ce single sonne toujours bien, résonne même, les textes n’ont jamais démenti la réalité et cela a le mérite d’exercer une belle et inattendue liaison !
6) Votre son est pluriel et personnel, unique et recourt à plusieurs genres qui, une fois imbriqués, constituent la touche One Arm. Comment composez-vous ? Avez-vous en tête, à la base, le désir de façonner un son décalé comme peut l’être celui de Mysore Pak ?
ONE ARM : Aussi pluriel que nos individus et la symétrie féminine/masculine et instrumentale (2 batteries/2 basses). Difficile de notre côté de percevoir ces différents genres… Tellement imprimés dans nos circuits…. Effectivement, il y a parfois ces incursions indiennes (on a quand même évité les éternels tablas et cithares:-)…), par exemple, qui côtoient impunément des ossatures plus électriques ; il y a un croisement, certes, mais tout ça est très impulsif, vécu et issu d’un processus limpide, non « recherché », mais plutôt ludique, l’envie de superposer tout ce qui nous prend, sur le moment et qui s’impose de manière instantanée à nos oreilles. Tels morceaux évoquent tels besoins et on empile tout ça à l’envi, mais de manière tout à fait logique, pour nous en tout cas…
Il y a une chose commune, c’est le sentiment, lorsque l’objet est « abouti », de ne pas l’avoir « déjà entendu quelque part »… Pas de recours à l’ennui, c’est hors-sujet. Mais pas non plus de volonté de sonner « original » coûte que coûte…
Donc le résultat est peut-être un brin différent, moins direct que pour certains, mais c’est notre angle d’attaque. Les parcours ou influences diverses, ce n’est pas vraiment notre problème, à nous d’en tirer parti. C’est instructif d’entendre ce que les gens entendent, il y a des surprises… Mais lorsqu’on se retrouve, on fait juste appel à notre abstrait dans notre bunker à pulsions… Donc, c’est assez simple, et rien n’a jamais dérogé à la règle : chacun arrive sans objet préparé, et c’est « impro », point barre. Alors, on aime pas, on jette, et la poubelle est vaste, ou on garde, car on a tous levé la tête en même temps, et là… ça commence, ça se corse, il va falloir trancher, organiser, mettre en place, dictatoriser… .:-) Alors ça doit être ça, ce fameux son pluriel et personnel… Ah ha !!!
7) Le nourrissez-vous, ce son, de vos « bouts de chemin » respectifs ou de votre parcours en tant que groupe et si oui, dans quelle mesure ?
ONE ARM : le nourrir… non. Je crois que ce son hybride se crée de lui-même, issu de notre façon intrinsèque de procéder et de ne pas se poser de limites de genre (tant que tout cela reste validé par tous). Ça fonctionne ainsi dans One Arm, alors ce n’est peut-être pas très orthodoxe, et certainement un peu plus long à finaliser que d’autres formules plus prêtes à l’emploi, mais quand la magie opère, le mécanisme parti de rien est très stimulant et ouvre encore d’autres portes pour d’autres couches improbables…
Le plus difficile est peut-être de rassembler toutes nos contradictions dans une spirale homogène, sans jamais tomber dans un cercle de routine.
8) Que comptez-vous mettre en place pour défendre Mysore Pak ?
ONE ARM : Le monde musical confiné bouillonne et va sans doute exploser de créations diverses et variées, il faudra tirer son épingle du jeu et ce ne sera pas simple… Les manifestations en public sont véritablement compromises et la liste d’attente est longue, donc de ce point de vue, on a peu de visibilité… et lorsque l’on sait que c’est le passage quasi-obligé pour se faire entendre, c’est un peu flippant.
Nous avons composé un clip avec Pakito Bolino sur l’un des morceaux de l’album (« Real »). Il faudra en commettre d’autres pour illustrer nos propos, tabler sur des incursions plus numériques, des remixes, des collaborations aux supports plus diversifiés (perfs, danse, peut-être), des résidences, de l’habillage visuel, un duplex depuis Saturne, la bande-son d’un nouveau concept…
Lien vers l’album + vidéo Bandcamp / Groupe Facebook One Arm / Instagram One Arm