BLACK LILITH est le premier album du tout nouveau label rennais féministe, queer et anti-raciste, nommé Black Lilith Records. Sous l’étendard du militantisme, clairvoyant, il rassemble douze artistes rennaises issues du rap, de l’électro, du hip-hop ou encore du trap. Constats amers, colère qui en découle sont le support de leurs morceaux, forcément estimables puisque révélateurs de maux grandissants, eux-mêmes synonymes d’un profond malaise sociétal. L’étroitesse, d’esprit. La petitesse, dans les mentalités. L’incapacité, maladive, à intégrer le fait que de nos différences, nous puissions faire des richesses. Le repli sur soi, sur son (non) être et ses idées moisies/archaïques, et j’en passe. Mais je mentionne, car ça compte, la soumission ou encore le contrôle, corrélées à un mépris total de l’Autre. Les dames mobilisées, elles, lèvent le poing et s’insurgent. A partir de titres au panel large donc, elles dévoilent des travers et LuXure, avec Boys Kkklub, s’en prend à l’entre-soi masculin. L’électro brumeuse du projet, saccadée, sert d’écrin au verbe lucide du titre inaugural. La colère, ici, est portée par des vocaux plutôt sereins. Ca fait contraste, c’est plutôt bien vu. Nobräklub/Nemour et son Bras-velours, plus alerte, évoque la rupture, l’Amour qui flanche. Musicalement, tout ça ne me transporte, pour l’heure, que de façon occasionnelle. Mais le contenu textuel, les idées véhiculées, font qu’on adhère.
Photo Louise Quignon
Au fil de l’écoute, toutefois, je m’imprègne et la valeur de chaque titre se dégage, s’immisce dans mon cortex. Ava/Primates sert un Abysses trip-hop haché, enfumé, où les « Fuck off » déchirent une trame vaporeuse. Roxane, quand vient son tour, délivre un Amazones dépaysant de par ses sons en décor. Les actes et attitudes, vils, y sont mis à jour. Ressentiment, apparente sérénité du propos sont ici aussi dans l’opposition. Léa Schweitzer et Sonikem jouent Le cri, y incitent à garder espoir. Pour le coup, le verbe sans fard du rap étaye le discours. Mamel, avec Artistes Femmes, s’appuie sur une électro dark, où le chant se poste entre cri et délire. L’Artiste, FEMME, se clame, se revendique et prévient: n’essaye pas…
Déterminées, les rennaises ravivent la braise. Leur poésie est tout à tour belle, amère, offensive. Inspirée, crédible car tirée de l’expérience. Ici, personne n’invente. Barbara Rivage, En plein jour, développe une trame gentiment grinçante. Les filles ont l’art, en l’occurrence, de mettre du beau dans leur résistance, ou d’en raidir les contours quand le ressentiment ne peut être contenu. Nobräklub et Arthur D’haeyer offrent un Alba et Bianca funky, qui sacre l’union. Entre Dames, au grand…dam de ces messieurs au cerveau fermé à double tour. Des encarts jazzy étoffent la narration, support aux déboires amoureux. Querelle, avec Argent roi, balance ensuite du cold trépidant. Je me sens musicalement, chez moi. Allié à la portée des sujets abordés par ses paires, Querelle assombrit le tableau, percute soniquement les putains d’effets de l’Argent, l’Argent-roi donc, sur le quotidien et les conduites adoptées. La diversité des genres exposés, sur ce recueil, le rend digne d’intérêt. A plusieurs niveaux de lecture, il suscite réflexion et interrogation. C’est déjà beaucoup, en une époque où toutes nos pensées tendraient à nous être dictées.
Photo Orane Guéneau
Hélène Bertrand et The Bridge, haletants sur leur Walk straight angoissant, noir et lumineux à la fois, m’y amènent définitivement: je suis des leurs. Dans le mot, ça s’imposait. Sur le plan stylistique, je le répète, on a là une collection étendue où chacun, dans le style qui est le sien, se distingue. Alors je prends. Oscar, avec Sur le dancefloor, joue avec les voix, avec les sons. Comme si, dans l’obscur de comportements subis, les ressortissantes de chez Black Lilith Records puisaient des raisons de danser.D’y croire, de surmonter, pour les transmettre à leurs semblables. Ce First LP, foutue bonne idée ayant pour origine une discussion dans un bar queer devenu café-culture à Rennes, constituant de toute évidence un support de choix, à la fois pour leurs performances musicales et leur rage croissante, ici adroitement imbriquées.