Lyonnais, Odessey & Oracle se livre à une pop faite de chansons « baroques et psychédéliques », peut-on lire sur sa page. Crocorama n’est pas son premier essai: Odessey & Oracle… and The Casiotone Orchestra (Carton / Folkwit – 2014) et Speculatio (Bongo Joe – 2017) ont déjà distingué ce quatuor où officient Fanny L’Héritier (voix, pianos électriques, claviers analogiques), Alice Baudoin (clavecin, orgue, flûte à bec, hautbois baroque), Guillaume Médioni (guitares, banjo, guitare basse, synthétiseurs analogiques, chant) et Roméo Monteiro (batterie, percussions). A la première écoute, j’ai fui. Irrité. Par ce chant sage, cette pop en apparence lisse. Mais, bien au fait qu’un album estampillé Dur et Doux, et Another Record, mérite qu’on « aille le chercher », j’y suis revenu. Nouvelle réticence émaillée, toutefois, de belles découvertes au fur et à mesure de l’écoute. Et me voilà, aujourd’hui, à tenter d’en sonder les multiples attraits. Il m’a fallu, pour cela, passer outre les voix, que j’ai d’abord trouvées trop polies mais qui, au final, dégagent une sorte d’euphorie pop, de mélodie enjouée, qui fait du bien et produit son effet.
Elles sont même, conjuguées à des élans 60’s parfois acidulés, à ces relents Zombies (c’est d’ailleurs à ce groupe que les Rhodaniens doivent leur nom), à une perpétuelle quête d’un ailleurs qui se fait au gré des investigations sonores de l’ensemble, d’un bel apport. On entend même, sur ce disque, des accents classiques, une foule de sons qu’on ne pourra pas qualifier de complètement communs. Chercher maman inaugure la quête, il se déroule de façon déliée. Trop prudent pour moi, voilà tout de même un bel ouvrage pop, dépositaire d’une identité encore peu ici, décelable. Les poupées dévie d’avantage, il place dans ses belles ritournelles des sons plus bruts. Psyché, pop, on a surtout la sensation que c’est Odessey & Oracle, en l’occurrence, qui définit ses propres contours. Je suis l’endormie, sur des accents à la Gainsbourg, brille musicalement. Sur son second volet, il gronde et continue, dans le même, à rutiler. C’est à mon sens dans ses écarts, marqués, que le groupe touche au but.
La pop, en effet, ne peut se contenter d’être belle. Elle ennuierait. Alors Odessey & Oracle, malin, la sertit jusqu’à lui donner du cachet. Mascara, sans maquillage si ce n’est celui d’un certain exotisme sonore, confirme la propension de cette joyeuse bande à produire un son sans âge, au carrefour des époques. Il faut bien l’écouter, ce Crocorama; les auditions successives dévoilent de plus en plus de détails de taille, d’options qui emmènent le groupe vers des contrées différentes. Son large panel instrumental l’y aide, j’aimerais cependant qu’il prenne plus souvent et plus franchement la tangente ou se fasse un brin rock, comme sur Le manège. Ca n’empêche qu’il en exerce sur l’auditoire, de façon assez nette, une forme d’attachement. Un peu comme si on était pris dans les filets de cette pop espiègle, belle et (pas assez mais ça n’engage que moi) polissonne. L’éponyme Crocorama fait, presque, son médiéval. Ca lui va bien. Entre synthétique et organique, Odessey & Oracle conçoit de beaux décors, rarement prévisibles.
Les enfants, paisible, vaut par son texte. C’est ici fréquent. Son arrière-plan s’agite un peu, à l’arrivée ça enfante, tout ça, une pop de qualité. Aux sorties de route éparses, certes, mais de nature à parfaire l’approche du groupe. Antoine Rouge, en incluant une voix narrative et des sonorités virevoltantes, en changeant de cadence, s’encanaille de manière probante. Mélodie #1 suit une trame tranquille, sur cette voie je m’ennuie quelque peu. Ferdinand l’albigeois s’enhardit rythmiquement: mince, on dirait un peu les Boo Radleys avec cette luxuriance musicale jubilatoire! La surprise est bien agréable, voilà tout à fait ce que j’aimerais entendre, pour ma part, de A à Z. Un break arrive, on cuivre le tout. Voilà une chanson bien ficelée, de celles qui partent en vrille. Combiné à des plages plus tenues, ça donne tout de même un effort estimable.
Mélodie #2, sur la seconde des deux options nommées précédemment, prudente donc, finit alors le boulot. Je me retrouve, au bout du compte, un brin déstabilisé. Ce Crocorama, je m’y attache, clairement…sauf que non, ses politesses m’incitent à décrocher et pourtant, de temps à autre, je m’en imprègne puisqu’il bifurque et quitte le bitume. Un peu égaré, j’ai toutefois conscience de l’identité de l’album, affirmée, et de sa capacité à séduire quand, persévérant, on s’imbibe de ses différentes textures et mélopées.
Photos: Sylvie Mauris-Demourioux