Duo de Bordeaux, Sahara unit Blondine et Jérémy, désireux d’imposer un son libre, dos délibérément tourné à une conjoncture politique, et artistique, uniformisée, inerte, offensive et offensante pour l’être. Ce « It’s only talk! » est le premier volet de « Talk ! Talk ! Talk ! », une série de trois triptyques, et comprend trois titres chantés en trois langues différentes. Le but étant de traduire le malaise éprouvé devant le foutoir politique actuel (et à venir, très certainement). Bref, tout un programme un brin foutraque bien que louable, qui pourrait en faire décrocher plus d’un. L’essentiel étant et restant qu’ici, la paire signe des chansons qui partent loin dans leurs délires et dont la première, ce Gris climatique inaugural donc, m’évoque les excellents Grand Blanc. Dans un écrin psyché, pop et doté de fulgurances cosmiques, sobre et vocalement très Grand Blanc donc, Sahara fait mouche. Le titre a pour base moults références culturelles, un évènement aussi (les feux d’Amazonie) et de ces sources naît une sorte de geyser personnel, duquel giclent les ressentis du projet. Si pour le coup, les voix se répondent et se complètent, que la trame reste d’une veine pop dark déviante, on change de registre avec Europa.
En effet, ici le riff arrache tout, le boucan domine. Le chant de Blondine se poste entre féminité et douce folie, on a droit à des écarts bien sauvages qui, Allemand aidant, produisent un bel effet. C’est frappant, je repense au clan messin nommé plus haut pour cette capacité à s’enflammer, à sombrer dans une démence à peine jugulée et pourtant maîtrisée tout en restant, en d’autres recoins, joli sans être trop poli. Il est toutefois évident que Sahara, au vu de sa démarche, se voue tout entier à l’élaboration de sa propre chapelle sonore. Il est loin d’y échouer, les morceaux qui en résultent sont de valeur et lui donnent du galon.
Le troisième et denier donc, Elephant talk, est un reprise. De King Crimson, irrésistiblement dansante, funky, endiablée. Elle a pour origine le trio de covers de King Crimson monté par Jérémy avec Swann (batteur), à l’adolescence, et convoque Romain Castagnet, guitariste de ce trio du passé et disciple de Robert Fripp, qui l’orne de sons de guitares à la Earthling de Bowie. Ce que personne, bien entendu, ne déplorera. On peine, certes, à s’y retrouver dans toutes ces sources et références; c’est bien trop chargé, la charrette va déborder! Mais l’ep, lui, est excellent. A part et performant, Sahara nous donne chaud, bien qu’occasionnellement obscur, et réveille des sensations durables, fortes. Notons que l’objet sort sur le label du groupe (Pazapas) et sur le micro-label Le Gospel pour l’édition K7, qu’on imagine soignée. Celui qui s’y retrouvera réalisera une prouesse, celui qui s’y perdra n’aura plus qu’à profiter pleinement de ce premier jet; il lui donnera assurément satisfaction.
Photo Chloé Gourmanel.
Conçu comme un « Royaume », Sahara est en effet une sorte de refuge, espiègle et insoumis, précieux, et une découverte à noter dans les calepins. Il ne fait d’ailleurs, ici, que débuter une oeuvre qui s’annonce riche et décalée. Suivons-le donc, car il le mérite, dans ce périple qui nous réserve d’ores et déjà, passé ce It’s only talk! qui ne l’ouvre pas en vain, d’autres réalisations du même acabit et de teneur au moins égale en impact sonore.