Fort de quatre décennies de carrière, d’albums mémorables sortis sous étendard Hüsker Dü puis Sugar, Bob Mould n’est pas moins bon en solo, associé toutefois à Jon Wurster à la batterie et Jason Narducy à la basse. Après un Sunshine rock qui laissait le soleil éclairer ses riffs, juteux et puissamment mélodique, Blue Hearts renoue avec une énergie directe, qui nous remet en tête les grandes heures de la première formation du bonhomme, à l’occasion d’un Zen Arcade par exemple. Bob nous joue et nous sert du rock, dans son apparat le plus simple, mais débute par une approche presque folk (Heart on my sleeve). Il coupe des têtes, celles des politiciens notamment, des irresponsables (ça revient au même, de toute façon), évoque donc politique et sphère plus personnelle. L’amorce est belle, mélancolique. Mais bien vote, la colère émerge. Next generation est joué pied au plancher, laissant augurer d’une salve de chansons ravageuses. Les formats sont courts, l’efficacité totale. American crisis, tout aussi irrévérencieux, pulse et décape. A l’heure où certains édulcorent leur rock, celui de Bob Mould, lui, ne s’est jamais aussi bien porté. Vrai, remonté, il donnerait du fil à retordre à ces jeunots prétentieux, aux tenues dissimulatrices d’un réel manque d’envergure.
Fireball est punk dans l’énergie, n’atteint pas même les deux minutes. Forecast of rain s’essaye à une pop-folk plus douce, les petites incartades de l’album renforcent celui-ci et étendent son champ. Quoi qu’il fasse, Mould dépasse d’une bonne tête, d’un chant dénonciateur, le pratiquant du même créneau que le sien. When you left le voit reprendre la corde de son rock percutant, aux guitares déchainées sur fond de rythmique aux gants de boxe. Blue Hearts s’écoutera sans stopper, fort bien entendu. Support à la révolte, il est solide, cimenté par des compositions impeccables. Siberian butterfly en remet une belle truelle, on n’est visiblement pas là pour attraper les papillons ou les regarder voler. On aimerait pourtant, si l’atmosphère autour de nous était moins viciée et laissait toute sa place à l’élément naturel.
Le vice, ici, on lui sert la vis. On le combat soniquement, Blue Hearts ressort poing levé, triomphant, de la bataille. Everything to you laisse les mélodies des guitares le décorer, il fait bien car instrument en main, le vétéran fait preuve d’imagination. Racing to the end fonce, déboite, ne fait pas de détours. On joue unis, en rangs serrés. Baby needs a cookie va moins vite, il reste toutefois alerte. L’épreuve est relevée avec panache, on n’en attendait pas moins de ce disque ouvertement engagé. Qui, tout de même, nous lègue quatorze morceaux costauds en diable. Little pieces le prouve, même sa fin na fléchira pas. On carbure à la vigueur, on charbonne allègrement. Leather dreams place tout de même un cadre apaisé, pop, qui trouve aisément son rang. Password to my soul resserre les riffs, galopant. Si les coeurs sont « blue », le disque, lui, est rougeoyant dans son contenu, en dépit d’une pochette de noir et de bleu.
Crédit : Blake Little Photography
A l’issue d’une collection de pièces irréprochables, The ocean finit comme Heart on my sleeve avait débuté: avec joliesse, avec une sensibilité qu’on peut, presque, toucher du doigt. Là aussi, ça passe sans forcer. Bob Mould continue, avec brio, son bonhomme de chemin contestataire. Crédible dans ce qu’il avance, il sort avec Blue Hearts un opus aux airs de pavé définitif, agité, dont l’acquisition est à l’évidence fortement conseillée.