J’ai du voir ce groupe, en live, presque dix fois. Je l’ai écouté et chroniqué avec enthousiasme, à l’occasion de ses excellents 01 (décembre 2012) et Forever lost (janvier 2016). S’ensuivirent The Split part I puis The split part II, similairement fiables. Récemment, la troupe amienoise a mis à profit la période de confinement pour, à distance, enregistrer ce qui, prévu au départ pour être un EP, est devenu un album. Un Social Disdancing foutrement bien conçu, à l’émotion palpable tantôt sous-jacente, tantôt directe et sonore à souhait. A la croisée d’un Pearl Jam, d’un Nine Inch Nails qui auraient tous deux rencontré le côté lunaire d’un REM, pour au final engendrer un son entièrement « YOF », reconnaissable. Une perle, autant ne pas tergiverser. Qui, de suite, livre un Hypnotize hypnotique, chants exaltants et trame folk pure et intense en sus. Déjà le ressenti, dans la voix, dans l’ornement, inonde l’auditeur. YOF se dévoile, sans fard. Splendide dans son tourment, dont il tire de toute évidence une inspiration constante. Il s’agite, sous le joug de spirales électro, quand arrive The strain. Diantre, que de beauté! Formidable de retenue, Your Own Film griffe, certes, mais avec tant de classe, de brio dans ses décors, qu’on ne peut que pousser le volume.
Until summer, qui démarre dans une quiétude bourrée de finesse, belle et émotionnelle, s’envole. On en aurait les yeux mouillés, de ce son si vrai. Puis on serrerait les poings, sur Mirrors, lorsque le ton se durcit et que Sam y va de son organe écorché. Album de sensations, de tranches de vie, d’une vie mise en parenthèses, Social Disdancing est à mon sens, ce qui n’engage que moi, l’un des meilleurs crus « made in confinement ». Le panel des émois véhiculés est large, au delà de ça il est magistralement retranscrit. Avec, de surcroît, des moyens du bord dont certaines formations, c’est le cas ici, s’accommodent à merveille.
Twenties, au mitan du disque, dégage lui aussi une beauté, une intensité bridée, aérienne, qui renforce l’accroche de l’opus. L’étayage est bluffant, soigné. Il incite autant au trouble qu’à l’apaisement. Au carrefour des sentiments, Your Own Film en tire son propre film, une B.O. du quotidien qui touche au coeur et à l’âme. Sunset, telle une leur dans la grisaille, se fait jour dans un halo brumeux, s’emporte sans imploser. Dans cet exercice, YOF flamboie. Il envoie du bois, aussi, quand la rage passe à travers les mailles du filet. Someday, de la même étoffe avenante dans l’émoi, reste pourtant sage. Et tenu, jusqu’à un point de rupture qu’il ne franchit pas. Comme si dans ses notes, YOF enfouissait une forme de révolte. Wrong way, sobre et pur, vient en tout cas entériner l’éclat de ce Social Disdancing de haute tenue. Le chant s’y enflamme, retombe ensuite dans le murmure. L’écrin offert est étincelant.
Quelques regards embués plus loin, I’m not célèbre l’union du beau et du souillé. Le premier domine, le second le talonne, toujours au service et au profit d’un rendu irréprochable. Arrive alors Get out; les deux personnages du recto de la pochette, d’abord distants, se rejoignent et entament la danse, comme le figure le verso. Celle-ci a pour écorce un Get out aux motifs, sur l’amorce du morceau, dépaysants. Puis l’ultime salve, rageuse dans sa coquine coquetterie, oscille. Entre courroux, donc, et splendeur torturée. Tout, pour le coup, est maîtrisé, authentique à en couper le souffle. Les amienois ont visiblement rebondi sur une période singulière, parvenant à en extraire la matière d’un disque qu’il convient d’explorer dans ses moindres recoins.