On savait Will Toledo, depuis notamment son étincelant Teens of denial (20 mai 2016), prolifique et créatif. Le constat s’est ensuite confirmé, tant sur support qu’à l’occasion de ses scènes (Lune des Pirates, Amiens, le 3 novembre 2018, où j’eus la chance d’être présent) et aujourd’hui, le jeune prodige nous revient armé d’un éclectique Making a Door Less Open, où son côté lo-fi flemmard persiste bien sûr, pour notre plus grand plaisir. Mais où, aussi, les genres s’entrecroisent et contribuent à ce que le disque signé, bluffant, surpasse quasiment tout ce que notre homme a pu faire jusqu’alors. En effet et dès ce Weightlifters à l’introduction dépaysante, sur un tempo saccadé et selon des sons vrillés, le clan Leesburg, VA, ratissant large, nous remet en tête le bricolage d’un Beck, troussé ici avec le même savoir-faire que l’auteur de Loser. Des guitares lo-fi rêches épicent le morceau, qui déjà promet une collection enthousiasmante. Can’t cool me down, soul dans le chant, rythmé et finaud, ne me dément pas: Will Toledo – vocals, synths, keyboards, organ, guitar, piano, drum programming, Andrew Katz – vocals, drums, drum programming, Ethan Ives – guitar, vocals et Seth Dalby – bass guitar s’unissent ici pour créer un son hybride, ouvert. Si bien qu’on pourrait, ce disque, le rebaptiser A sound more open. Des sons malins y prennent part, générant un côté exotique. Deadlines (Hostile), d’un rock indé entre mélancolie et giclées des six-cordes, valide ce retour dans la qualité et la diversité. Les claviers, bien utilisés, y brodent à nouveau des bordures qui plairont. Hollywood, qui fait son Pavement, aurait très largement sa place sur le Slanted & enchanted de Malkmus and Co.
On est dans un délire indé captivant, dépenaillé, racé et accompli, que renforce là une diction aux limites du hip-hop. Hymn (Remix), alerte et dans le non choix entre cosmique trituré et élans post-punk, dévie autant. Chez Toledo et sa troupe, le chemin n’est jamais tout tracé. On évite de ce fait toute forme d’ennui, de linéarité. Les idées et dérapages sont légion. Martin, dans sa pop-folk sans vêture ou presque, vivace, ouvre la porte plus grand encore. Dans la bicoque de Car Seat Headrest, on tombe sur un bric à brac sonore génial.
Deadlines (Thoughtful), électro venue du ciel, sonorités ici aussi prenantes, unit tons psychés, légers, voix douce, et bruitages dont le groupe a le secret. Tout ça est d’une excellence empreinte de nonchalance, d’une inventivité récurrente qui fait qu’avec ces quatre-là, on est sûr de ce qu’on va trouver. Sur le plan qualitatif, du moins. Pour le reste, Car Seat Headrest oscille, avance au gré de ses initiatives, et fait carton plein. Life worth missing, chant paresseux et rythme appuyé surligné par des boucles encore trop bonnes, délivre un ton tristounet/ enjoué du plus bel effet. Sur l’établi de Car Seat Headrest, sont disposés peu d’outils. Mais on en fait le meilleur usage qui soit, avec l’agilité des meilleurs.
There Must Be More Than Blood, au moment d’amorcer la fin, s’étend sur plus de sept minutes. Sans empressement, c’est une constante qui caractérise le groupe, il vise juste. Entre douceur un brin vénéneuse et décor sobre mais notable, il maintient l’effort à un niveau élevé. Enfin, Famous émerveille une dernière fois en confrontant claviers joueurs, lo-fi complètement à nu, sons dingues, cadence électro et minimalisme fatal. Pas besoin d’en faire plus, le large éventail des Américains a fait son oeuvre et démontré, pour la énième fois, que mister Toledo était bel et bien implanté, et justement reconnu, dans l’indé entier et sans fard.