Ils n’ont sûrement pas fini, ces Hifiklub de Toulon, de nous surprendre. C’est même ce qu’ils font le mieux et à l’occasion du confinement, le trio originel a pu collaborer avec, tenez-vous bien, Matt Cameron batteur de Pearl Jam et Soundgarden, mais aussi avec le producteur Daffodil et, histoire de singulariser encore plus le rendu, le trompettiste de jazz expérimental Reuben Lewis. Le résultat final, un morceau unique décliné en six parties jalonnées de rares vocaux dont l’effet est d’accentuer les parties instrumentales, d’une portée psychique dingue, commence par nous plonger dans un puits nuptial, intitulé avec justesse Sans préavis. Un drone sans lumière, céleste et psyché dans sa texture, qui me fait craindre une chose: que le disque, mais je n’y crois que bien peu, ne soit fait que de ça. Car c’est prenant, certes, mais un peu trop linéaire en dépit des effets produits. J’avais forcément tort, L’air d’un vaincu (me) transporte en instaurant une trame électro songeuse, d’un chant rêveur lui aussi, qui chope le premier vaisseau spatial, et spécial, venu. L’extrait d’un arrangement de cordes de Jean-Michel Bossin, joué par le Trio Anpapié (soit Eléna Andreyev – cello, Alice Piérot – violin et Fanny Paccoud – alto) y figure, transcendant, venant se coupler au déroulé envoûtant d’Hifiklub et ses collaborateurs. Daffodil, déjà présent sur les dernières réalisations du clan de Régis Laugier, s’est chargé d’agencer le bric à brac génial qu’est Rupture et il faut bien le dire: celui-ci, au fil des écoutes, s’avère être passionnant. Sans équivalent, il balade qui le voudra dans des espaces inexplorés où le saxo erre et couine, où la voix susurre, où l’obscur se fait une… cure (de lumière). Où, flottant, on lévite.
Et dire que l’album a été fait, on le comprendra aisément, avec les moyens du bord. On en viendrait presque à ne pas le croire, mais on le sait; avec ces gens-là, nul besoin de déployer tout un arsenal pour différer, pour se démarquer. L’air d’un vaincu, tu parles…ils en sortent vainqueurs, mais ça ne leur suffit pas. Ils revisitent le cosmos avec Navire de sauvetage, où l’on prend place pour un voyage que le sax feutre, où la frappe éparse de Cameron accentue l’idée de montée dans les cieux. C’est magnifique. Comme chez Oiseaux-Tempête, on est dans le…tempétueux, le contemplatif arrosé de bruits que personne ne connaissait jusqu’alors. Bien peu s’y attellent sans s’y égarer; l’équipe réunie ici, elle, s’y essaye avec une sacrée mainmise. Des giclées noise cuivrées s’échappent, l’équipage fait des loopings mais garde le contrôle.
Terrain vague, spatial, trouve dans Le temps gagné son prolongement à l’étoffe jazzy magique. On sent la montée venir, les boucles l’annoncent. Reuben brode le morceau, celui-ci s’achève dans une embardée à la majesté qui gronde sans rompre. Le trip est chargé en sensations, Cavale nous secoue en nous soumettant à des implosions intenses, amples, dont la coupure laisse poindre un silence qui, j’en jurerais, se destine à nous faire retomber. Il le faut, on est monté bien haut.
Ce n’est pas aisé, le perchoir se situe à des années-lumière de nos bases habituelles. On peine à s’en extraire, Hifiklub et ses compagnons en feront peut-être décrocher certains mais à l’inverse, l’épopée vécue en leur compagnie n’a pas son pareil. Elle engendre, de ce fait, le désir de réitérer la chose, de s’y abandonner pour se purger de toute autre influence sonore au risque, délicieux, d’en ressortir rincé et transcendé. Dans un état, quoiqu’il en soit, nouveau, généré par une oeuvre collective éprouvante et immersive.