Il est de ces albums, dans la sphère dite « métal », qui catapultent le genre loin de son horizon habituel. Leur innovation, jamais dédiée à une investigation hasardeuse, respire l’ingéniosité, l’idée décisive, à plein nez. J’ai par exemple eu ce choc, pour citer l’un de mes disques favoris, avec Angel Dust de Faith No More. La sensation est toutefois rare et c’est à l’écoute de Spirituality and Distortion, signé du projet Igorr mené avec brio par Gautier Serre, qu’elle renaît aujourd’hui. Notre compatriote nous y emmène loin, haut, et truffe son répertoire d’accents dépaysants, de sons détournés, dont l’effet se prolonge bien au delà de l’audition de son opus. Sans plus attendre, Downgrade Desert et son oud (Mehdi Haddab, tout de même) mêle orient et métal baroque, chant rauque et incursions vocales d’une grâce et d’une ampleur confondantes. Notons que pour le coup, Igorr est particulièrement bien entouré puisque qu’en plus des deux chanteurs « réguliers », soit Laurent Lunoir et Laure Le Prunenec, une pluie d’invités s’abat sur l’ouvrage du sieur Serre. Passé cette entrée en matière déjà notable, les cordes médiévales, le chant lyrique magnifique de Nervous waltz s’accouplent, se succèdent, pour enfanter un second rejeton turbulent, nourri au riff dur et m’évoquant nos Carnival in Coal amienois favoris. Il sera bien dur à décrire, ce Spirituality and Distortion, tellement il diffère. Mais quel régal, au casque notamment! On en extrait avec délectation, aussi, des délires à la Primus eux aussi renversants.
Osé me direz-vous; bien sûr, Igorrr est loin de se vouer aux conventions. Very noise lorgne d’ailleurs du côté du clan de Les Claypool, sa basse y rebondit et se cogne dans la balustrade telle une boule de flipper. Le rythme est fou, l’essai ne fait pas même deux minutes mais sa durée brève ne l’empêche aucunement de créditer l’ensemble. Hollow tree, hybride et inventif à souhait dans ses sonorités, ne se classe pas. Entre symphonie tordue et vocaux singuliers, à couper le souffle, d’embardées brutales en passages apaisés que surlignent des motifs enchanteurs, il va sans dire qu’on est pris dans la nasse. Camel dancefloor fait même dans le psyché dés-orientant avant de verser dans le métal façon Igorrr. Le bien nommé Parpaing, où intervient George Fisher de Cannibal Corpse, s’en remet ensuite à une trame death puissante dont émergent, c’est l’une des forces de Spirituality and Distortion, des bruits sans commune mesure avec la normalité.
Parcouru par une inspiration impressionnante, l’effort d’Igorrr devrait, si la logique est respectée, rafler les suffrages. Il nous fait même, sur Musette maximum, valser dans l’agitation, louchant au passage vers un genre, une fois de plus, complètement neuf. Voilà un album qui rince son assistance, l’éprouve en la soumettant au jeu des montagnes russes soniques et émotionnelles. Personnellement, c’est ce que j’attends de tout disque. Me voilà donc servi, au delà de mes espérances initiales, avec cette rondelle de choix. Himalaya Massive Ritual instaure une dualité vocale splendide, confirmant mon ressenti; Igorrr frappe fort, élégamment intensément et dans des écarts parfaitement tenus. Je ne citerai pas l’intégralité des musiciens conviés, elle est bien trop conséquente. Mais leur « passage », immanquablement, s’avère remarquable. Bringuebalé et enchanté, je ressens presque le besoin, à ce moment, de faire une pause. Il faut le digérer, l’ovni sonore d’Igorrr. Trop tard pour le répit, Lost in Introspection me fait voleter, léger et lyrique. Quant au chant, il se passe de tout commentaire et te soulève de terre. Les guitares, tout-terrain, séduisent sans rémission.
Avec Overweight Poesy, c’est un nouveau trip en contrées éloignées qui nous est proposé. Il n’y qu’à se laisser porter et de toute façon, on a d’ores et déjà quitté, depuis belle lurette, nos bases habituelles. Passé sa moitié, le morceau se fait guerrier, allie le frontal et le plus léger, attaques franches et bifurcations sonores hautement novatrices. Dans ses pas, Paranoid Bulldozer Italiano vire…dubstep, dirait-on, en son début. Les guitares arrivent, la voix dévaste tout. La puissance, ici, est ravageuse. A tout instant, avec Igorrr, il faut s’attendre à ce que les pistes se brouillent sans que ce soit, au final, l’embrouille. On renoue, sur Barocco Satani, avec des cordes de toute beauté, relayées par des six-cordes dures pour ensuite reprendre, à l’unisson avec la voix, le dessus. Certains décrocheront, mettront un genou à terre devant tant de prestance et d’imagination. Ce faisant, il passeront à côté d’une épopée unique.
On suivra Igorr, aussi, dans ses moments plus « normaux » (Polyphonic Rust), si tant est que le terme puisse s’appliquer à son ouvrage. J’ai d’ailleurs tort car même lorsqu’il fusionne un peu moins, le rendu reste décalé. Et, qualitativement, niché sur les sommets. A l’issue de son album, Pierre Lacasa et Jasmine Barra viennent orner Kung-Fu Chèvre, qui prend des airs de bal du village Slave ensorcelant, au cachet vocal certain et aux attitudes versatiles. Des plans fusion groovy en diable lui mettent fin, clôturant par la même occasion une sortie sans équivalent, éblouissante, frappée du sceau du génie. Difficile, après ça, de retomber…