Rennes, jamais à la traîne, du rock est un peu la reine. La cité bretonne nous a en effet refilé, par le passé et encore actuellement pour certain d’entre eux, Marquis de Sade donc ensuite Marc Seberg, Les Nus, Sloy, Skippies, Candie Prune (dont la bassiste Laureline Prodhomme tiendra sur le prochain jet de Frakture, d’ores et déjà en cours d’enregistrement avec David M. Allen…la basse), Bikini Machine, Dominic Sonic et j’en passe. Elle est continuellement dans le fourmillement, elle a aussi vu ce combo nommé Frakture, fondé à l’origine par Sergeï Papail, issu de Marquis de Sade, naître, flamboyer, se mettre en sommeil, réapparaître avec un 4 titres. En résumé, l’essentiel étant que suite à la rencontre avec David M. Allen, Frakture nous laisse un opus accompli, fiévreux et pétri de style. Le Britannique a entre autres oeuvré avec The Cure, Sisters of Mercy ou The Mission (ou encore Psychedelic Furs, si vous en vouliez encore); il est aux manettes pour la sortie, réel événement, de ce So blind to see dont on va voir, bien vite, qu’il s’avère être un éclatant bijou de « dark-pop ». Souvent tranchant, baignant dans un jus post-punk ou rock tendu, à d’autres moments plus posé, usant de l’Anglais et du Français avec un impact similaire, il débute d’ailleurs en alliant clarté et ombrage, au son de ce Broken ways déjà probant. Velours canaille du chant, griffures des guitares et tempo « up » l’élèvent. Ses mélodies scintillent, sa vigueur est revigorante. On en retombe à peine que Geisha’s noise, riffs crus en avant, souffle lui aussi un rock de caractère, qui n’omet pas l’option pop. Quant au son, on n’entrera pas dans les détails; il donne un relief grandissime à l’édifice. Il y a en plus cette pochette, splendide, signée Richard Dumas, qui en parfait la présentation.
On se réjouira, tout autant, des perles pop alertes que le groupe dépose, subtilement mais avec entrain (Lost in heaven). C’est aussi le cas d’Atomique love et un constat s’impose; en plus de trousser des compositions irréprochables, Frakture se dote d’un atout supplémentaire de par l’usage du « Franglais ». Il y va de ses coups de sang, entre classe vénéneuse et riffs féroces, dont on ne se remettra pas (Flies). C’est du racé nerveux, dont ressort une rugueuse élégance. Un tout bien campé, inébranlable, étayé par l’expérience.
Plus loin dans l’écoute, l’éponyme So blind to see traverse des eaux épurées. Fin, il laisse filtrer un réel ressenti et dans le même élan, une patine instrumentale qui solidifie le disque. Que Caresse d’un abîme, valorisé par la présence de Philippe de Lacroix-Herpin et Pascal Trogoff qui le rendent dépaysant, renforce également quand vient son tour. S’il se veut rock, So blind to see fait montre d’une diversité qui le rend d’autant plus abouti. On reste, constamment, en phase avec le rendu. Les ombres de décembre, batterie galopante et verbe à nouveau éloquent en poupe, est par ailleurs bien loin d’être en reste.
Photo Richard Dumas
Il est alors déjà, oui déjà, l’heure d’en finir (notons que la version avec bonus inclut, comble du bonheur, 2 perles de plus: Insectes (Marc Seberg. Guest : Philippe Pascal « himself »), puis Flowers of deepness). Morning days conclut donc dans une étoffe soyeuse mais à l’arrière-plan ombrageux. A l’écoute du dit titre, je pense aux Belges de Ghinzu pour ces trames doucereuses mais animées, qui parfois explosent sans crier gare ou presque. Ici, on s’en tient à une jolie retenue et au bout du compte, Frakture tamponne son retour de la plus belle des manières, sous l’impulsion d’une galette rayonnante.