Actuellement se déroule la 13ème édition des Paradis Artificiels, festival lillois à la base mais ayant eu la belle idée de prendre une dimension plus étendue. Ce qui nous a permis de voir en live, en ce dimanche de la fin mars, le blues-rock rugueux de No Money Kids puis le rock hybride, africanisant, de Delgres. Le tout dans le cadre incomparable de la Lune des Pirates, salle amienoise à la réputation plus qu’établie.
Si le dimanche incite au repos, il n’a guère empêché la foule d’investir ladite Lune, profitant dans un premier temps des bourrades garage-blues de ces No Money Kids au répertoire qui jamais ne foire, diablement rock, vicieusement blues, joué à 2 en faisant le raffut de 5. Un bazar jouissif, spontané, qui permet à Félix Matschulat (Voice, guitare, synths) et JM Pelatan (Bass, synths, machines, drums) de faire valoir des « songs » indé bordées d’électro, puissantes et efficientes et qui, parfois, se nuancent en restant dans l’excellence. Les gars de chez Roy Music jouent avec vigueur, valident les impressions favorables laissées par leur plus que bon Trouble (novembre 2018), ouvrant sans faiblesses et avec maîtrise pour le Delgres de Pascal Danae.
Et nous voilà partis, le trio une fois arrivé sur les planches, pour une bonne heure de delta blues/carribean lament perforé par des attaques rock, Danae faisant le show en se voyant épaulé par deux acolytes, l’un à la batterie, l’autre au sousaphone, aussi magistraux que lui. Delgres, c’est une formule inédite, tel le Morphine de Mark Sandman, et l’audace musicale synonyme du meilleur en termes de rendus. On navigue entre africanisme tranquillisé et instants de révolte sonore, et verbale, délectable. La symbiose est totale. On voyage en puissance comme en retenue, Delgres honore son impeccable album Mo jodi, récemment réédité avec bonus élevés, et fait danser la Lune.
Avec Delgres, on oublie que le lendemain, « c’est lundi ». Le son, sans réel équivalent, remplit l’espace. Le Paradis n’est plus artificiel, il devient sonore et réel, presque palpable. On s’y abandonne, on s’y donne corps et âme. On vit un temps fort, qui nous rend plus fort et qui, l’espace d’une soirée, envoie tout, et tout le monde, valser. Danae conteste, met l’assistance dans sa poche et Delgres, chaînon manquant entre Tinariwen et les Black Keys (en notant cependant que c’est avant toute chose SON genre que le groupe génère), signe un live énorme, marqué par une identité détonnante.
Photos William Dumont.