Jugez donc: le samedi nous a offert Haight Ashbury, révélation ecossaise aux reflets psyché mêlés d’élans underground et adoucis par les voix des deux dames, selon une formule aussi intense que minimale. Superbe entrée en matière donc, qui trouve dans la prestation subtile et écorchée de Farewell Poetry un prolongement tout aussi envoûtant. Entre post-rock et attitude spectrale d’un chanteuse dont on ne peut détacher le regard, élans bruitistes et soubresauts expérimentaux, une véritable pépite donc, dans le même temps glaçante et étincelante.
Farewell Poetry
Puis…B.L.A.C.K.I.E., à la pathologie aussi évidente que synonyme de prestation décalée, sans égal, à base de hip-hop scandé sur parties enregistrées, dont on conservera le souvenir, difficile à effacer, aussi marquant que dérangeant, de longs mois durant. Dérangé, dérangeant mais au delà de cela, talentueux et (involontairement?) charismatique, ce Dälek solitaire et extrême aura marqué de son empreinte un festival à son image: passionnant et singulier. Ceci avant le mythique Bernard Fèvre et son Black devil Disco Club, formidable machine à danser et à groover dont le seul défaut fut de ne pas inclure les featurings de son merveilleux Circus. Il n’empêche et à 66 ans, Fèvre conclut la soirée avec brio, fort de morceaux irrésistibles et d’une aura que sa reconnaissance par nombre de pointures electro ne fait qu’accroitre.
Samedi de feu donc, avant un dimanche que mes mots et maux ne suffiront pas à décrire. Lelectro-pop froide et enjouée de Tristesse contemporaine, tubesque, aussi accessible qu’en certains endroits plus cold, assortie de projections en phase avec le contenu, faisant mouche d’entrée de jeu sous l’égide d’un chanteur black masqué. La claviériste orientale et le guitariste blanc qui l’épaulent participant de façon toute aussi décisive à un set captivant, émaillé, donc, de morceaux sans failles aucunes.
Que dire, ensuite, de la démentielle épopée noise de La Colonie de Vacances, de plus d’une heure et demie, constituée, line-up imparable, de Marvin, Papier Tigre, Pneu et Electric Electric, jouant à l’unisson et disposés en carré le répertoire, qu’on sait imprenable, des uns et des autres. Phénoménal de tenue et de puissance, une série impressionnante, jouée de façon foncièrement originale, de standards noise, et un second temps fort dominical, avant la jouissive et retentissante raclée infligée par Duchess Says, dont on sent dès l’intro noisy de ANTePoC et à l’agitation de son leader féminin, et félin, qu’il va nous administrer la leçon de l’année. Et cette mornifle, on la prend avec un plaisir démesuré, on en réclame même et la furie post-punk des canadiens emporte tout sur son passage, à l’image de sa chanteuse qui finira, superbe, en tête à tête avec une petite fille dont beaucoup envieront à ce moment le sort tout en sortant rincés, mais heureux à l’extrême, de ce concert que je n’hésiterai pas à placer parmi les meilleurs vus aux 106 depuis son installation rive gauche. C’est puissant, c’est aussi très groovy, compact et A-Claude fait le reste, que ce soit sur scène ou au beau milieu d’un Club entièrement conquis, avec lequel sa communion est totale.
Le bonheur total donc, doublé du sentiment de fierté lié au fait d’y avoir été présent et dans l’expectative de nouveaux moments forts estivaux et de rentrée, dans ce 106 dont l’enseigne luit superbement dans la nuit rouennaise.
Photos William Dumont.