On y trouve treize perles organico-synthétiques malsaines, grésillantes et entièrement obsédantes, l’instrumentation dérangée d’Hurtado trouvant en l’organe vocal de l’alter ego de Martin Rev le plus parfait des échos.
Dès l’ouverture nommée…Intro, un crachin sonore unique, réminiscent de Suicide certes, mais aussi très personnel, annonce une déferlante sonique que Bang bang libère l’instant suivant. Puissante, assénée, cette trame cohabite avec le chant rageur d’Alan et percute les sens de l’auditeur, déjà mis à mal par la paire infernale et plus qu’inventive. Les sons obsédants arrivent par vagues et le submergent, le dominent jusqu’à générer une forme d’addiction qui le poussera à des écoutes compulsives. Constamment agité, perturbateur mais prenant des atours variés, l’enrobage sonore de Sniper joue aussi sur la répétition des motifs élaborés par Marc, qui font l’intérêt, énorme, de It et de ce qui suivra. Le synthétique, charnel, se fait rock, offensif, rageur, et ne trouve pour l’heure aucun équivalent dans la texture qui est la sienne. On pense aux Young Gods à l’occasion de Juke bone done et ses boucles récurrentes, à Mark E.Smith (The Fall) aussi pour ces voix singulières, mais l’option prise est individuelle et fait de Sniper un opus complètement libéré d’influences qu’on ne perçoit plus, si ce n’est par infimes bribes, et qui, finalement, trouvent essentiellement leur source dans les travaux communs du duo.
Arrive ensuite un Saturn drive duplex apaisé, aux nappes ici aussi bien senties, plus aériennes, qui en plus de trancher dans la cohérence avec le registre belliqueux de départ, l’étaye dans une déviance à laquelle il donne cette fois des formes plus « polies ». Puis Fear, sombre, inquiétant, confirme brillamment la complémentarité des deux artistes et l’unité de leur oeuvre.
C’est ensuite Sniper, frontal, d’obédience indus et zébré de fréquences grinçantes, au rythme puissant, qui passe le cap de la première moitié d’album avec rage et brio, en imposant même une dernière minute noisy, pour ensuite laisser Criss cross, alerte et groovy, plus délibérément electro, étoffer l’univers de Sniper. Et pour valider de façon définitive l’ouvrage des deux musiciens, Sacrifice et ses plages plus « posées », mais dotées d’un arrière-fond tourmenté, s’impose lui aussi comme une formidable réussite.
Que ce soit sur un tempo débridé ou plus calme comme sur ce morceau, Vega et Hurtado font feu de tout bois, et l’electro-rock de Crazy driver n’infirmera aucunement le constat. On y retrouve cet alliage façon Young Gods entre synthétique et organique, parfaitement ajusté, incoercible, aussi spatial que direct, puis War met en place un rythme plus leste, orné de bruitages récurrents à l’effet psychédélique détonnant.
La réussite est totale et le long format du superbe Let the blood drip, posé et sensible bien que porteur d’une trame dans la retenue, vient annoncer….l’intervention de Lydia Lunch elle-même, sur Prison sacrifice où elle livre un duel vocal, grave dans le ton qu’elle y prend, avec Alan Vega, pour un résultat atmosphérique de toute beauté, sobre, qu’on sent sur le point d’exploser mais qui reste dans cette retenue captivante jusqu’à ses derniers instants.
Passé une écoute dont les conséquences amèneront d’une part l’amateur d’oeuvres insoumises à des auditions à la limite du maladif, et d’autre part l’album en question à durer et faire date, il va sans dire que ce Sniper de haute volée, auquel on espère d’ores et déjà une suite de même teneur, s’inscrit dans les indispensables, rayon « expérimental » dirons-nous, du moment.