Leader de Guerre Froide, Yves Royer s’exprime au « mic » de Will Dum sur le parcours du groupe, le sien aussi, et la matière du projet encore actif à ce jour….
1. A l’aube des 80’s naît Guerre Froide, qu’est-ce qui t’a incité à fonder un groupe ?
J’avais déjà participé à un groupe avant Guerre Froide : en septembre 1979 j’avais intégré un groupe existant sous le nom de Banlieue Nord, qui est devenu Stress en mars 80. J’y avais été accueilli en qualité de chanteur, en remplaçant au chant le guitariste Jean-Luc Mallet, frère de Patrick, futur Guerre Froide. Avec celui-ci j’avais auparavant fait la connaissance de Gilbert Deffais avec qui nous avions monté un groupe éphémère du nom de Génocide (!), lequel n’a fait qu’un seul concert à la fête anarchiste du parc de Montières, le 30 juin 1979, en s’incrustant avant A 3 dans les WC !!
La formation de Guerre Froide s’est faite tout naturellement après une discussion avec un ami commun, Fabrice Fruchart, avec qui nous partagions les mêmes goûts musicaux en matière de punk et de new wave.
2. Quel accueil est alors réservé au groupe, tant scéniquement que discographiquement ?
J’avais des amis à Radio France Picardie qui dans un premier temps, nous ont aidés pour l’enregistrement de 4 titres démo en juillet 80 et dans la promotion de notre musique. Ceci nous a permis de nous retrouver très rapidement sur une scène, le 25 octobre 80, lors du festival Rock Against Racism organisé par l’Office Culturel de la ville d’Amiens au cirque Jules Verne. Il faut dire que je chantais dans 2 des 4 groupes présents, puisque Stress était aussi à l’affiche ! Je me souviens très bien de l’accueil étonné du public nombreux (plus de 1000 personnes) à l’écoute d’une musique qui était alors plutôt novatrice en terme de sonorités. Nous avons vite enchaîné avec quasiment la même affiche, le 11 novembre suivant, au B.J.’s Club où nous avons eu la confirmation de la bonne réception de notre travail. Dès lors notre nom a commencé à circuler localement puis régionalement, et nous avons pu avoir des dates hors d’Amiens.
Le vinyle édité à 1000 copies a quant à lui bénéficié d’une distribution artisanale : l’ami qui avait créé le label Stechak Products spécialement pour nous produire faisait le colporteur chez les disquaires, a priori concernés, au nord et à l’est de Paris. Sur Amiens même il se vendait plutôt bien, sachant que notre vrai public était assez restreint, car il y avait eu un précédent avec une K7 autoproduite à 50 exemplaires !
3. Votre premier EP, qui date de 1981, a depuis fait l’objet de plusieurs rééditions. Le considères-tu comme « emblématique » ou particulièrement significatif pour Guerre Froide, voire pour la mouvance cold-wave/post-punk de l’époque?
Même si nous ne l’avons pas cherché au départ, ce 12’’ EP est devenu à notre insu avec le temps l’une des références françaises (voire européennes) pour cette mouvance de l’époque, au même titre que les premiers singles de Kas Product ou le premier LP de nos amis de Charles de Goal. L’exposition Des Jeunes Gens Mödernes à la Galerie Agnès B à Paris en avril/mai 2008 (2 ans après notre retour sur scène !) a été un grand moment de consécration et de reconnaissance, avec le titre Ersatz figurant sur la 1ère compilation vinyle et le double CD édités à l’occasion (précisément sur le 1er CD en compagnie de Marquis de Sade, Etienne Daho et Taxi Girl entre autres !!).
Rétrospectivement, il est évident que si nous avions su ce que cela deviendrait un jour, peut-être que nous ne nous serions pas arrêtés car bien qu’étant issus d’une espèce de désert musical entre Paris et Lille, nous avions déjà eu des retours de médias parisiens comme Rock’n Folk (la rubrique Frenchy but Chic de Jean-Eric Perrin) ou encore la radio libre Carbone 14 qui nous avait invités.
4. Le line-up de Guerre Froide a régulièrement mué, à quoi est-ce du ? Que t’apportent, ou qu’empêchent, ces fréquents changements ?
Dans la 1ère période « historique » des années 80, c’est le départ de Fabrice en juin 1981, pour des raisons liées à son avenir professionnel, qui nous a paradoxalement permis de nous renforcer en passant de 4 à 5 membres. La création s’en est trouvée enrichie, d’autant plus qu’entre-temps nous avions écouté encore plus de nouveaux groupes anglais qui pour la plupart nous influençaient … ou pas !
Dans la 2nde période depuis notre retour en 2006, le fait de recommencer avec seulement 2 membres originaux et un nouveau bassiste, mais du matériel numérique alors qu’auparavant il était analogique, a beaucoup changé la donne en terme de création. Puis l’arrivée en 2014 de Clotilde « Sabatel » Sourdeval (ex-Cheshire Cat et actuelle Dear Deer) nous a apporté une autre dimension sous la forme d’une 2ème voix. Nous cherchions une voix féminine pour faire des choeurs sur notre 3ème album « Avant-dernière Pensée ». Comme Dear Deer étaient des amis, nous avons tout naturellement pensé à Clo que nous avons invitée en studio pendant l’enregistrement. Nous lui avons proposé certains titres sur lesquels elle a posé sa voix et nous avons gardé ce qui nous paraissait le plus concluant par rapport à nos attentes.
De fait, cela nous a paru évident que Clo devait aussi assurer ces voix en live et nous l’avons intégrée au groupe, ce qui a amené par la suite à sa participation à l’élaboration des titres de nos 2 albums suivants. Sans aucun problème d’ego de ma part, je lui ai laissé le champ libre pour interpréter ses propres textes dans le cadre de tous les titres dès lors qu’elle en avait envie. Sur scène cela donnait un duo très complice, en forme de ping-pong vocal, qui a attiré un nouveau public !
Cette collaboration a duré 10 ans, jusqu’à ce que Clo nous quitte en février 2024 en raison d’un manque de disponibilité dû à ses multiples engagements professionnels et musicaux. Nous sommes donc revenus à la case départ du trio de 2006.
5. Les conditions humaines, sociales et politiques nourrissent souvent ta plume. Depuis les premières parutions de Guerre Froide, vois-tu une évolution dans ce contenu ?
Je pense que comme beaucoup de créateurs musicaux, j’ai quelques obsessions thématiques ! Les champs socio-politiques m’ont toujours motivé de même qu’une certaine approche écologique. Je viens d’une famille ouvrière ou la lutte des classes n’était pas un vain mot, avec un fort ancrage à gauche, cette gauche que par un glissement sémantique les dirigeants actuels appellent « extrême gauche » ! Je n’ai jamais prôné l’anarchie, même si je me sens proche de certaines idées anars. Mais j’avoue que je n’ai jamais ressenti le besoin de m’engager dans un parti ou une démarche citoyenne, peut-être par manque d’une certaine conviction ou par refus des embrigadements …
Je ne sais pas si j’ai évolué dans l’expression de mes idées, mais il me semble qu’elles sont tout au moins restées plutôt claires et constantes dans une forme de fatalisme existentialiste. Le monde court tranquillement à sa perte, en pleine conscience ou pas suivant les individus et l’endroit où ils vivent. Et ce n’est pas forcément la faute de ceux qui subissent le plus les effets négatifs de ce qui se passe dans ce monde, c’est bien là le problème aussi ! Le fossé qui sépare les possédants de ceux qui n’ont pas (ou plus) grand-chose est de plus en plus énorme et inquiétant.
6. Le contexte politique actuel, un brin « craignos » et je pèse mes mots, risque t-il de peser dans la matière Guerre Froide à venir ?
Il est certain que le retour aux affaires de Donald Trump pour ne citer que lui est une catastrophe économique et écologique pour la planète entière !! Sans parler des divagations territoriales de certains pays ou dirigeants comme Vladimir Poutine …
Alors si nous avions l’occasion de faire un nouvel album, je pense que l’actualité brûlante y aurait sa place, mais le problème est que ce nouvel album risque de prendre du temps et que l’actualité en question soit vite dépassée.
En effet, nous répétons très peu depuis que j’ai quitté Paris pour Saint-Brieuc, et la création s’en ressent : nous n’avons qu’un seul nouveau titre achevé depuis un an !
7. Tu uses de l’Anglais comme du Français, recours-tu à l’un ou à l’autre en fonction de ce que tu écris ou est-ce juste arbitraire ?
L’emploi de l’Anglais est vraiment très parcimonieux depuis longtemps. J’avais volontairement écrit Demain Berlin en Français, Anglais et Allemand en 1980 et c’est ce qui a d’ailleurs permis à ce morceau d’avoir l’impact qu’il a eu sur le long terme. Mais c’était presque une expérience, que je n’ai pas renouvelée, et je me suis contenté par la suite d’émailler de quelques mots d’Anglais (ou d’Allemand) certains titres.
8. Votre dernier opus « Fiat Lux » date de mars 2023, penses-vous d’ores et déjà à sa suite? Avec le recul, que pensez-vous de ce Fiat Lux ?
Comme je le laisse entendre réponse 6, cela va être assez compliqué pour le prochain opus ! J’espère que nous aurons assez de foi en notre travail pour continuer, même si c’est au rythme d’un ou deux nouveaux titres par an … Nous répétons toujours chez le guitariste, en banlieue de Lille, et je n’ai pas les moyens financiers de m’y rendre toutes les semaines depuis que je suis à la retraite ; j’y vais environ 1 à 2 fois par mois seulement et surtout pour préparer les concerts à venir !
Fiat Lux n’est pas assez dur musicalement à mes yeux, mais il faut dire qu’il a été conçu à une période très difficile sur le plan personnel pour le guitariste, et que sa vision autocentrée l’a un peu emportée. Même s’il a été bien reçu, je sais par des échanges sur les réseaux sociaux que certains fans l’ont trouvé un peu léger, sans substance véritable. De plus, en live certains titres n’ont pas été joués ou ont été abandonnés alors qu’ils avaient plus de potentiel scénique que d’autres …
9. Existe t-il dans l’hexagone, dans votre style d’appartenance ou ailleurs, des formations que vous appréciez spécifiquement ou dont vous vous sentez proches ?
Fabrice dirait que nous n’appartenons à aucune famille musicale, mais c’est peut-être un peu prétentieux ! La cold wave étant une spécificité plutôt française, je dirais que j’apprécie toujours autant Opera Multi Steel avec qui nous avons déjà partagé la scène ainsi que Martin Dupont, qui sont tous deux des « anciens » comme nous. Mais musicalement nous n’avons rien en commun avec eux. J’apprécie beaucoup de mon côté des nouveaux groupes assez électro comme Potochkine, Venin Carmin et Tisiphone ou post punk comme Curtain.
Nous avons joué 2 fois avec Kas Product avant le décès de Spatsz. C’est un duo qui s’est formé 6 mois avant Guerre Froide, et que j’ai énormément aimé à cette époque. J’ai vraiment apprécié leur retour il y a quelques années, mais je dois avouer que la version « Reload » actuelle, même si elle reçoit des éloges dithyrambiques, me laisse un peu sur ma faim … Je dois être resté coincé quelque part dans l’espace-temps !
10. Tu fais mention à intervalles réguliers, sur ta page Facebok, de concerts vus et pas des moindres ! Que tires-tu de ce parcours d’ « oiseau de nuit », quelles seraient les dates vécues dans notre secteur (Hauts de France, en l’occurrence, en y incluant l’ancienne Picardie) qui t’auraient le plus touché ?
Pour les concerts se déroulant à Paris, j’avais la chance d’être le fils d’un employé de la S.N.C.F. (pas employé dans un bureau, mais au service caténaires, donc dehors par tous les temps …) et d’avoir des réductions de 90 % sur les trajets aller-retour Amiens-Paris, donc je ne m’en privais pas ! Dès que j’avais le budget pour des billets de concert, j’allais voir à la FNAC Montparnasse ce qui allait passer sur Paris puisqu’à cette époque, il n’y avait pas d’informations numériques.
En ce qui concerne les concerts dans l’ex-Picardie, j’ai déjà parlé sur FB de celui de Taxi-Girl à Beauvais qui fut épique. Il y a eu aussi celui des Civils à Creil me semble-t-il (je n’ai aucun souvenir de la date et je n’ai plus le ticket), où nous avons été attaqués à la sortie par des loubards locaux qui cherchaient la cogne et qui ont envoyé Gilbert Deffais à l’hôpital !!
Sinon les meilleurs souvenirs d’origine restent ceux liés aux concerts à Amiens fin 70’s/début 80’s, principalement au B.J.’s Club : Marquis de Sade (déjà évoqué aussi sur FB), Edith Nylon, Bijou, Starshooter, les Dogs ou quand j’ai fait le roadie pour Little Bob Story au Campus Universitaire ! A part pour MDS, je n’ai aucune trace de billets avec date car j’ai souvent été invité ! Il y a eu aussi certains concerts plus tard et ailleurs sur Amiens : la soirée T.C. Matic avec Minimal Compact à la Maison de la Culture était incroyable ; le concert de John Cale (dont je suis un fan absolu) le 10 avril 1992 au Cirque municipal a été un moment magnifique également .
P.S. et scoop : Certes avec Guerre Froide c’est un peu depuis un an la machine au ralenti comme tu peux t’en douter, mais entre-temps j’ai eu envie de créer avec mon épouse Sophie un duo, SYR, qui va sortir dans les mois qui viennent un vinyle 12’’ avec 5 titres enregistrés dans le même studio que Guerre Froide à Boulogne-sur-Mer !
Photos du groupe: Will Part en Live, auteur de l’article….