Après l’ep ΣΥΝΘ et à l’heure de la sortie du single Légions perdues, clippé, Larsovitch répond aux questions de Will Dum….
1. Comment Larsovitch a-t-il vu le jour, et qu’est-ce qui a déterminé le choix de son esthétique musicale ?
Larsovitch (dans sa forme actuelle) voit le jour à l’été 2020 à la Friche Mimi, un lieu de mutualisation des savoir-faire artistiques à Montpellier. La mise à disposition d’un espace de travail, où j’ai pu effectuer plusieurs résidences (avant de devenir résident permanent), m’a permis d’approfondir mes idées et de composer autour d’une envie première : faire une musique sombre mais dansante, tout en me passant d’ordinateur. Cette idée ne vient pas de nulle part – quelques années auparavant, un proche m’a fait découvrir le groupe grec ΟΔΟΣ 55 (Odos 55), et ce fut une gigantesque claque. À l’époque, je bidouillais déjà les synthés, mais la découverte de la scène grecque minimal synthpunk via Odos m’a vraiment montré la radicalité que je cherchais en termes d’esthétique sonore. J’y ai retrouvé pêle-mêle le minimalisme de la chip tune et l’énergie du punk.
À cela, s’ajoute une passion tenace pour le postpunk très mélancolique de l’ex-bloc soviétique, qui accorde une grande place à la guitare et où le chant, souvent empreint de résignation, est magnifiquement illustré par la langue russe. Ces influences constituent les deux colonnes vertébrales d’un projet musical en trois langues.
2. Ton premier EP, ΣΥΝΘ, a plus d’un an et a fait l’objet d’une réédition en cassette en février dernier. Quel regard portes-tu sur son contenu, avec le recul ? Es-tu de ceux qui, avec ferveur, restent attachés au format « à l’ancienne » que constitue la K7 ?
Je n’ai pas encore renié ΣΥΝΘ – il est trop jeune, et je joue encore la plupart des titres en concert. Cela dit, j’ai tendance à évincer les morceaux au fur et à mesure que de nouveaux arrivent. À titre d’exemple, sur les 15 titres que je jouais en live lors de mes premiers concerts, un seul subsiste aujourd’hui. Je crois qu’on peut dire que je compose de manière assez frénétique, voire complètement obsessionnelle, et qu’en conséquence, beaucoup de morceaux ont une durée de vie limitée, du moins sur scène.
Concernant les supports, la K7 est un format très courant dans la scène postpunk, et plus largement dans les musiques underground. Une partie des gens qui achètent des cassettes à mes concerts me confie même ne pas avoir de lecteur et les considèrent plutôt comme des objets de collection.
Je ne dirais pas que je suis attaché « avec ferveur » aux formats à l’ancienne, même si j’écoute principalement de la musique sur vinyle, mais j’éprouve une certaine tendresse pour les cassettes, que j’ai connues dans mon enfance. De manière plus pragmatique, l’idée est venue des labels Conicle Records et Ascèse Records, qui m’ont découvert en live à l’automne 2023, à quelques semaines d’intervalle, et qui m’ont tous deux proposé de sortir une K7.
3. Un nouveau single, nommé Légions perdues, vient de paraître. De quoi traite-t-il, et est-ce l’annonce d’un éventuel nouvel EP ?
Légions perdues représente les souvenirs qui s’estompent avec le temps. Il m’a été inspiré par un paradoxe fort : la difficulté de se plonger dans des souvenirs récents et douloureux, tout en ressentant le besoin de les entretenir pour ne pas les perdre. J’ai pensé que, même si les souvenirs d’une relation récente, ou d’une personne disparue depuis peu, nous semblent légions, ils restent le fruit d’un tri radical de toutes les minutes passées ensemble. Plus largement, et de manière moins personnelle, la chanson évoque également le combat pour une cause perdue.
Et oui, c’est tout à fait ça : Légions perdues annonce un nouvel EP qui sortira début 2025 sous le label italien Stanze Fredde Records, avec Conicle Records pour la production des K7. Un deuxième single, accompagné d’un clip, sortira autour de Noël.
4. Le clip de ce titre, dans un noir et blanc seyant parfois traversé de couleur, me plaît beaucoup ! Quelle en a été la genèse ?
Content que le clip te plaise ! Il est né de ma rencontre avec Tom et Bianca, de Stanze Fredde. Nous avons tourné et produit ce clip ensemble lors de mon séjour à Turin, en novembre dernier. Cet exercice demande beaucoup de travail, d’organisation et peut parfois être assez stressant. Pourtant, cette fois-ci, les choses se sont déroulées sans effort, de manière très naturelle. Nous avons vraiment vécu une forme de symbiose.
En plus d’aborder symboliquement le thème de la chanson – avec le flux des cours d’eau, les transports qui vont et viennent, ces moments intenses partagés avant de se retrouver seul – on peut voir, je pense, la genèse d’une forte connexion humaine et artistique entre nous trois.
5. Tu es, de toute évidence, seul à bord de Larsovitch. Quels sont, d’après toi, les limites et les atouts de cette formule ?
Eh bien, de toute évidence, non ! Je suis effectivement seul sur scène, mais loin d’être seul dans le développement de Larsovitch. Faire exister un projet musical demande tellement de travail et d’investissement que le faire seul me semble impossible. Et puis, je ne suis pas possessif avec mes compositions : j’aime que d’autres personnes y apportent leur grain de sel. J’éprouve beaucoup de plaisir à constater qu’un conseil ou une idée extérieure peut me permettre d’emmener une chanson plus loin.
Il y a d’abord Jules Potier, alias Yuls, qui co-produit Larsovitch depuis notre rencontre en résidence à la Friche Mimi en 2021. Il est le référent technique du projet, participe également à la composition, m’oriente dans mes choix de textures sonores et sur le chant. Nous produisons les albums ensemble : il est partie prenante de tous les mixs et apporte de nombreuses idées en termes de production.
Ensuite Stephy, alias Lafouache, manageuse du projet, sans qui tu n’aurais probablement pas entendu parler de ΣΥΝΘ en février dernier. Elle m’apporte son aide et ses connaissances en termes de presse, de booking, me donne son avis sur les compositions, et m’aide dans tout un tas de trucs – comme m’amener à la pharmacie deux heures avant un concert parce que je gerbais mes tripes à cause d’un hot-dog végé périmé ! Il y a aussi les labels avec lesquels je bosse, c’est toujours des rencontres humaines fortes qui apportent leur pierre à l’édifice; et enfin les personnes de la Friche Mimi. Je vais pas citer tout le monde mais j’ai bénificié d’une aide substentielle sur de nombreux aspects, allant du travail scènique jusqu’aux méandres de l’administration.
Et pour finir de te répondre, être « seul » permet de faire avancer la musique au rythme que l’on souhaite et de ne pas être contraint par l’agenda d’autres membres. En contrepartie, la charge de travail est plus grande et faire constamment appel à ses ressources peut parfois être un peu épuisant. Mais heureusement les concerts sont toujours l’occasion de recharger les batteries à bloc.
6. Tu viens de Montpellier. Comment se porte la scène « rock au sens large » là-bas ?
Pour la scène « rock », je ne sais pas trop, mais nous sommes une petite équipe de groupes à exister tant bien que mal. Il faut dire qu’on manque cruellement de lieux pour jouer. Parmi mes camarades, il y a Gom Pilote, Yuden, le groupe Minus Minuscule, Gj106, ou encore Denuit bien sûr. Mais Montpellier est surtout connue pour sa scène noise. Dans les années 2000, le groupe Marvin en était l’ambassadeur principal, mais il y en a eu beaucoup d’autres. Aujourd’hui, un groupe génial vient tout juste de débarquer : Fer Vent. Je te conseille vraiment d’aller jeter une oreille, si ce n’est pas déjà fait.