C’est à Otomo de Manuel, artiste-réalisateur franco-américain, élément essentiel de la contre-culture nancéienne, que l’on doit ce superbe coffret relatif à la scène de la ville, dans l’ère 80’s principalement. En 2 DVD et un CD, celui qui créa la compagnie de théâtre expérimentale Materia Prima Art Factory et la friche artistique T.O.T.E.M nous replonge dans une époque foisonnante, où Nancy regorgeait d’audace, nageait à contre-courant et instaurait le DIY en mode opératoire. Ses deux DVD retracent, interviews à l’appui et pas des moindres, l’énorme richesse et la pluralité culturelle de la froide cité de l’est, dont l’élément fondateur est bien entendu le Kas Product de Spatsz et Mona Soyoc. Cette dernière illustre, avec lucidité, la liberté d’action, la « punkitude » dans l’acte et l’absence d’entrave -institutionnelle, par exemple- qui caractérisaient la scène locale. On voit et on entend, sur ces deux supports, nombre de figures d’entre les murs s’exprimer, souligner le bouillonnement de Nancy et par la suite, se questionner sur qui l’a tuée. Dick Tracy, Wroomble Experience, le Terminal Export, les fabuleux OTO, entre autres groupes insoumis, y apparaissent et témoignent d’une effervescence que la compilation CD « Random, Cold and Dilettant Music« , forte de vingt et un morceaux sans commune mesure avec la norme, consacre. J’en suis addict; elle honore des formations dont je possède déjà les opus (Atomic Kids, OTO, Wroomble Experience), que j’ai même vues live (Double Nelson, dans ma ville, fut ahurissant), et parcourt un panel aussi imaginatif que voué à la différence.
De superbes images, d’époque, percutent notre vue. Des séquences lives à l’intensité démentielle surgissent, les arts se croisent et se complètent dans un magma avec lequel l’époque en cours n’a plus rien à voir, bien moins spontanée. A Nancy dans les 80’s, on bâtissait avec trois bouts de ficelle. A partir de rien, ou pas loin, on savait tout faire. La créativité était sans cesse sollicitée, elle était même impérative faute de quoi, on ne pouvait perdurer. L’envie, j’entends par là le désir de creuser ses propres sillons, prévalait. Elle régnait. Sur So Young But So Cold/Who Killed Nancy? les fondements d’un élan incoercible sont mis en exergue, ses luttes mises en mots par pléthore de gens de l’art, passionnants. Ils respirent le libre, la volonté de chacun de se démarquer sans jamais « pomper » ce que l’autre élabore. Visionné trois fois déjà, So Young But So Cold/Who Killed Nancy? est une affaire de passionnés, de personnes vraies. C’est ma ressource, mon antidote à la survenue du téléphone et de l’informatique qui comme l’explique le « doc » ont mis à mal la relation à Dame Musique tout en étendant les possibilités d’y avoir accès. Désormais on fait vite du beau, mais qu’y met-on de soi? La question mérite d’être posée, en guise de réponse il est remis de rétorquer qu’auparavant nous étions plus libres, moins « chaperonnés » donc bien plus innovants, bien plus « inventeurs ». Mes mots ne peuvent, je tiens à le préciser, rendre compte de la portée de ces deux DVD, en tous points accomplis. Un jalon splendide, témoignage à visionner maintes fois d’un Nancy alors bien vivant. Et fourmillant. D’idées, d’initiatives, de vie commune très système D, de sons fous et géniaux. A l’instar, finalement, de leurs concepteurs.
A cet instant précis tourne dans ma belle Pioneer le CD, dans le même temps je lis le livret, me régale des photos, tourne et retourne le coffret et sa liste de noms déterminants, écrits rose sur noir. C’était d’ailleurs ça, du rose dans le noir, de l’espoir dans une ère grise tendant au noir. Mais grisante, comme le narre le documentaire. RCDM me rentre dans la tête, j’en retiens aussi la place des femmes, prépondérante, dans les groupes comme dans l’orgie artistique de l’époque. Depuis les SMACS sont nées, elles accompagnent certes mais dans le même temps, posent des barrières. La débrouille ça fout la trouille, ça dévie et l’ère actuelle, fermée, jugeant, se glace devant l’audace. Le cadré lui, sécurise et l’osé méprise. Regrets. Bon tout n’est pas noir, j’ai dans ces SMAC vu de superbes lives. Et puis j’ai ce coffret, à portée de mains, pour revenir à ma source. Mon abreuvoir. Damned, qu’il est beau!!! A l’heure où je vous écris sonne le Brass de Geins’t Naït & Laurent Petitgand, dans la foulée Mellano Soyoc en fermera la marche au son de son One Great Desire. Avant ça, Dick Tracy aura cuivré son Pocco Mucho, hors-rails, d’un obscur post-punk. Alive the Roupettes, sur un Van Gogh d’abord finaud, ensuite cinglant et de chants frappés, niché entre les deux options, aura parmi d’autres valeureux tracé ses désirs.
Photo Grégoire Petit
Tous mériteraient, à vrai dire, d’être nommés. Ils sont incontournables, piliers d’une mouvance à l’inverse du rance. Winter Family, son Yallah aux fulgurances presque Suicidiennes. Candidate, auteur de ce On the ice cold, tapi dans les ténèbres. Les projets susmentionnés aussi et évidemment, charpente d’un ensemble qui casse la baraque. M.A Beat, son Psalm vivace et psyché autant qu’emballé. Blockhaus Babies, leur Elephant Man au post-punk racé comme taré, MOKO et Maydit qui
rappe/se trip-hop en s’ornant de volutes envoûtantes et j’en passe mais vous intime l’achat du coffret, de qualité millésimée. De son titre d’amorce à son final, sans rater une marche, RCDM se hisse au niveau des recueils de référence, comme A Man & A Machine par exemple, instigué en son temps par Le Son du Maquis, et complète avec éclat, au gré d’une chronologie jusqu’à ce jour déclinée, l’œuvre essentielle et fascinante d’ Otomo de Manuel qu’on remercie mille fois, ça va sans dire, de même que tous les participants ici impliqués, pour leur travail titanesque et magistral.