Clip en bandoulière, maxi 2 titres également, album prêt à voir le jour: Lena Deluxe, forte d’une actu chargée, répond aux questions de Will Dum….
1) Qu’est-ce qui a décidé Lena Deluxe, il y a quelques années déjà, à se lancer, à œuvrer dans le domaine musical ?
J’ai démarré la musique très tôt, vers l’âge de 8 ans, au conservatoire (en piano). Puis je me suis mise naturellement à la guitare, pour commencer à composer vers 15/16 ans. Je me suis servie de la musique pour exprimer un certain mal être à l’époque de mon adolescence… J’ai perdu mon père quand j’avais 11 ans et la musique ainsi que la composition m’ont permis de m’accompagner dans ce deuil et de pouvoir libérer cette douleur enfouie.
Je ne pensais pas forcément en faire mon métier, j’avais plutôt envie de devenir comédienne. Mais j’ai eu une superbe opportunité professionnelle qui s’est offerte à moi, quand j’avais 23 ans : partir en tournée, en Europe, en tant que claviériste de Brisa Roché. Après cette expérience incroyable et très riche, j’avais envie de continuer à en faire mon métier.
2) Tu es Lilloise : la ville et sa pléthore de groupes tous genres confondus influent-ils sur ce que tu peux élaborer ?
C’est vrai qu’à Lille, il y a une sacrée effervescence au niveau de la musique et c’est un petit milieu où tout le monde se connait. Cela m’a permis de rencontrer beaucoup d’autres artistes et de collaborer pour des projets parallèles, comme par exemple récemment sur le projet June & Lena avec June Bug, un duo que nous avons créé pour faire une tournée dans les Flandres avec la collaboration de la SMAC Les 4Ecluses.
3) Qu’as-tu ressenti à la sortie de ton premier album, Mirror for Heroes, en 2015 si je ne m’abuse ? Dans quel contexte a-t-il vu le jour, qu’y abordes-tu et comment l’as-tu ouvragé ?
J’ai senti un mélange de joie, de fierté et de soulagement. C’est un album qui s’est construit à travers une expérience à la fois très enrichissante, mais difficile. Henry Hirsch, un grand producteur américain, m’avait proposé de produire et d’enregistrer mon album dans son église transformée en studio analogique près de New York. Je suis arrivée là-bas et au bout de cinq jours, je suis tombée très malade: la mononucléose !
J’étais totalement vidée et je dormais toute la journée. On enregistrait une heure ou deux par-ci par-là, je jouais les guitares allongées sur le sol dans un état comateux puis je retournais me coucher. Henry a vraiment joué un rôle de mentor pour moi, il était très exigeant et c’était formateur, mais parfois éprouvant mentalement.
Évidemment, on n’a pas pu finir l’album dans le temps imparti avec ce rythme ! Mais j’ai continué à enregistrer en France avec l’aide de mon ami Fred Candeille, qui avait son studio La Fabric à St-André, près de Lille. Nous sommes repartis avec Fred chez Henry à New York, quelques mois plus tard, pour finaliser les voix et le mix.
Tout ça, c’était en 2011. Le disque est sorti en 2015, car je n’ai pas trouvé de label et j’ai donc décidé de monter mon propre label pour le sortir. Mais ça a pris beaucoup de temps et d’énergie. Dans ce premier album, je parle de la mort (dans « Tears of Rain » et « D Day »), et pas mal de chansons évoquent les déceptions amoureuses ou encore les relations toxiques.
4) Tu reviens avec un clip, « Animals », en prélude à un album nommé Santaï et attendu pour la rentrée 2023. De quoi traite ledit clip, soniquement et visuellement magnifique ? Que peux-tu nous dire de l’opus en question ?
Merci ! Dans ce morceau, je fais un constat de l’empreinte destructrice des humains sur la nature sous forme d’un dialogue avec des animaux. Le refrain parle d’un « dernier appel avant que tout soit détruit ».
Dans le scénario, mon personnage se retrouve parmi les dernières survivantes d’un monde au bord de l’apocalypse, et s’est auto autoproclamée grande prêtresse. Coupée de toute civilisation depuis un moment, elle s’est liée d’amitié avec deux animaux, rescapés eux aussi.
Nous l’avons co-réalisé avec Camille Ropert, qui avait déjà réalisé mon clip « Ink », et on s’est vraiment marrés en écrivant le scénario. On voulait que l’univers soit décalé pour alléger le sujet, qui est plutôt lourd, faire des références à la pollution, aux pétroles, aux déchets plastiques de manière symbolique plutôt que de s’ancrer dans un scénario réaliste. Tous les costumes et accessoires ont été faits à partir de matières ou de vêtement recyclés. Les costumes d’animaux mascotte apportent la touche décalée et DIY un peu à la Gondry.
5) Un maxi 2T sort aussi, dédié à ton titre « En haut des cimes ». Tu y collabores entre autres avec mon pote Jocelyn Soler, via son projet Verlatour. Comment l’as-tu rencontré, comment en es-tu arrivée à lui proposer de remixer le morceau ?
J’ai rencontré Jocelyn il y a quelques années, dans le cadre d’un projet qui s’appelait IC music, où on est partis une semaine avec mon groupe et son groupe The Name en Angleterre pour faire des ateliers d’action culturelle en prison et dans des écoles spécialisées pour des enfants porteurs de handicaps. C’était des expériences fortes, avec une ambiance un peu colonie de vacances donc forcément, ça crée des liens.
J’ai donc pensé à lui pour faire ce remix, j’avais envie de sortir de ma zone de confort et confier ce remix à quelqu’un qui vient plutôt de l’électro. Et du coup, il a fait ce remix techno hypnotique qui donne une nouvelle dimension au morceau, je trouve.
6) J’ai lu que des musiciens indonésiens intervenaient sur ton disque, j’imagine que ton voyage dans le pays en est la cause ? Que tires-tu de ce trip assurément marquant en tous points ?
J’ai en effet rencontré le guitariste Ipin Nur Setiyo dans une communauté d’artistes sur l’île de Java, près de Yojyakarta. On a improvisé ensemble et le courant est tout de suite passé. Du coup, quelques mois après je lui ai proposé de revenir pour faire un album ensemble. Il a trouvé des musiciens locaux et on a créé l’album. Tout s’est fait sur une période assez courte, donc j’ai continué ensuite à produire et à finir les arrangements et enregistrer les voix en France.
C’était vraiment intéressant de plonger à l’intérieur d’une autre culture, avec une manière différente d’appréhender la musique. Par exemple, pour Adam, le joueur de Sapé et d’instruments plus traditionnels, la musique revêt une dimension vraiment spirituelle même dans la manière de composer.
Ce n’était pas toujours évident au niveau de la communication. Ipin faisait le lien, car le reste des musiciens ne parlaient pas trop anglais. La notion du temps était aussi différente ; moi j’avais une deadline, qui était la fin de mon visa, pour finir. Du coup, j’étais parfois stressée quand je voyais qu’on n’allait pas tout finir dans les temps, et eux me répétaient tout le temps « Santaï Lena » ! Santaï, c’est plus qu’un mot, c’est un état d’esprit. En bahasa, ça veut dire à la fois relax, calme, lenteur, simplicité, liberté, sourire, ne te soucie pas des problèmes et du futur.
En effet, en France, on a une vision du temps différente, on a tendance à être plus speed et j’ai dû m’adapter. Ipin m’expliquait qu’ils avaient une expression pour ça d’ailleurs : « Waktu Flexibel » (le temps flexible). Et en effet, j’ai dû apprendre à rester santaï et flexible, accepter les imprévus (il y en a eu beaucoup) et rester dans le moment présent. C’était une belle leçon.
7) Tu quêtes, visiblement, l’inspiration novatrice. Qu’est-ce qui nourrit ta recherche ?
Finalement, ce sont les rencontres artistiques que je fais qui me permettent d’ouvrir les horizons dans ma propre création musicale. On est souvent seul.e, quand on est artiste indé autoproduit multi casquettes, et je trouve que lorsqu’on rencontre un.e artiste avec qui le feeling passe, c’est une belle occasion de s’ouvrir à des choses qu’on n’aurait peut-être pas faites seul.e. Cela peut être un vrai moteur pour l’inspiration.
8) À quoi prévois-tu de consacrer ton été, si ce n’est peut-être jouer et peaufiner la sortie de Santaï ?
On joue le 24 juin au Castle Festival à Habarcq, et le 1er juillet au Forum festival près de Dijon. Je vais tourner un nouveau clip pour le prochain single « Santaï » qui sortira en même temps que l’album du même nom le 8 septembre. Je passe aussi des examens en août pour devenir prof de yoga, et je vais prendre quelques jours de vacances avant la rentrée !
Photos portrait : Audrey Jean.