D’un côté Junko Ueda, figure éminente du récit épique médiéval japonais. De l’autre PoiL, groupe libre et aventureux. PoiL Ueda donc, soit la réunion de deux entités n’ayant rien à voir avec la norme et encore moins avec la soumission, qu’elle soit sonore ou civile. Cinq morceaux, trois parties distinctes mais finalement liées. La première, écrite autour d’un chant shōmyō, « kujo shakujo », rituel monodique pour éloigner les mauvais esprits. La seconde, qui relate la bataille navale de Dan-no-ura, et la troisième, consacrée à Yoshitsune, grand samouraï au destin tragique. Un envoûtement à la voix profonde, incantée et habitée, qui s’amorce par ce Kujô Shakujô – Part 1 qui sans possibilité d’atterrissage, monte dans les cieux et nous en met plein les yeux. De suite, l’auditeur est percuté, les sens en proie. A la voix, à cette trame spatiale totalement immersive. Sans chaos pour le coup mais celui-ci, merveilleux, arrivera plus tard. Il s’annonce, d’ailleurs, sur une fin de titre bruitiste. L’épée est plantée, l’étendard hissé. Kujô Shakujô – Part 2, de ses pulsions à la fois nerveuses et interstellaires, pousse la magie plus loin encore.
Photos Paul Bourdrel.
PoiL Ueda est une expérience, un peu de celles dont on ne revient pas. Ou peu, avec lenteur. L’instrumentation encore, au terme du morceau, griffe et dérape. Et dépayse. Ainsi Kujô Shakujô – Part 3 réitère t-il la méthode, singulière, qui allie sons d’ailleurs et approche physique, racée et musclée. Les gimmicks, au delà de l’accrocheur, renforcent l’accroche. Le drumming se saccade, le rendu prend possession. De moi, sûrement de toi aussi. En loopings soniques, en acrobaties tumultueuses, PoiL Ueda paraphe un registre sans égal. On ne le classe pas, on l’écoute et avec délectation, on le goûte sans en perdre une goutte. Dan No Ura 壇ノ浦の戦い – Part 1, agité, nous en reverse d’ailleurs une belle lampée. Sons d’orient, noise d’ici: ça ondule et là, à nouveau, tu es pris au piège. Un coup d’oeil au line-up (Claviers : Antoine Arnera/Guitare : Boris Cassone/Basse électro acoustique : Ben Lecomte/Batterie & percussions : Guilhem Meier/Chant & Satsuma Biwa : Junko Ueda) permet de constater que la clique, aguerrie, n’a besoin de personne pour quitter la route.
Les coups de canif, marquants, défigurent l’opus non sans panache. Dans le même mouvement, ils le surlignent. On breake, sans sagesse ni complaisance. Mais avec créativité, à tous les étages. En toute fin d’épopée Dan No Ura 壇ノ浦の戦い – Part 2, retenu, menaçant, grisé, reste sur le fil. Ca ne fait, de manière audible, que le valoriser d’autant plus. Secoué mais en joie, l’amateur d’écarts y aura d’ores et déjà satisfait sa quête. Le disque sort chez Dur et Doux, là aussi force est de constater que ça en certifie la teneur et le cachet. Superbe ouvrage!