Né en 2007, quand Damien Magnette anime un atelier sonore au Vzw Wit.h. (structure associative défendant les pratiques artistiques auprès de personnes en situation de handicap mental), le Wild Classical Music Ensemble « from Belgium » est un ensemble improvisant, vociférant, jouant sur des instruments détournés de leur utilisation première. Il se compose comme suit: Damien donc, musicien bricoleur autodidacte qui, cette fois, s’installe derrière ses fûts; Linh Pham à la voix; Sébastien Faidherbe au chant et à la basse; Wim Decoene au sampleur; Wout Wittevrongel à la guitare électrique et Johan Geenens à la flute brute. Dans cette géniale clique, la basse à deux cordes se joue à plat et se cogne avec des baguettes, la flûte est une espèce de machine soufflante dont Johan sort les sons les plus improbables, et la voix de Linh traversée d’effets multiples est un instrument au spectre indéfinissable.
On ne s’étonne donc pas si la rencontre avec Lee Ranaldo de Sonic Youth, dont la conséquence tient en une improvisation continue et sans glissières, intitulée Hell Gate et performée autour des sculptures géantes du plasticien, exposée au musée du Dr Guislain à Gand durant l’exposition « Bloodtest« , relève de l’errance musicale passionnante. Ranaldo le dit-lui même, le rendu lui évoque les débuts de Sonic Youth, en cette ère où tout ce qui traversait l’esprit du groupe prenait forme(s) sans direction préétablie.
Ici c’est au son d’une longue complainte dépaysante, Hell gate donc éponyme, que le délire s’amorce. Le pouls est faible mais soutenu, s’emballant rapidement. Les sons dévient, on est là dans une retenue intense dont s’extraient des sonorités inédites, des effluves qui transportent et perturbent. Les voix, criées ou lancinantes, accentuent l’impression ressentie. Les guitares, vous l’aurez dès la première ligne saisi, sèment des graines façon early Sonic. Le titre s’étire jusqu’aux portes des seize minutes, entièrement captivantes. HELL GATE, je l’assure, j’en suis sûr, est mon disque « expé » de ce mois. Il est maladif, il expurge, transcende et valide le handicap. En trois pièces, il nous met en vrac. Sa seconde, Le fond du coeur, d’une durée nettement moins poussée, se fait plus posée. Et finalement, tout aussi immersive. HELL GATE s’écoute, s’appréhende, s’apprivoise bien plus qu’il ne s’écrit. Il faut l’aller chercher, le mot et par conséquent les miens peinent à le situer. Le fond du coeur se déploie lentement, il pourrait se craqueler mais demeure entier bien que sur le fil. Il narre, avec emphase, dans une ferveur empreinte de mélancolie.
Photos Camille Cooken.
Pour finir The world is hard for me, qui dépasse les dix minutes, tribales, insidieuses, porte le coup de grâce. Entourée de notes bluesy, aux teintes psyché, la composition instaure d’abord une immuabilité en marge, pénétrante, sombre et martelée, qui reste définitivement en tête, dont la fin s’emporte dans un tourbillon en crue immodérée. Des encarts noisy, élégants pourtant, s’y invitent. Le fin digipack, de plus, est magnifique. L’ artwork est signé Johan Tahon et Matthieu Morin, ça sort chez La Belle Brute et ça mérite, simultanément, 5 étoiles ainsi qu’une vague d’écoutes impliquées. Superbe ouvrage, fièrement niché au delà des convenances et à priori qui polluent l’humain et ses interactions, que ce HELL GATE.