Le Cri du Caire, basé à Paris puisque le monde est aussi petit qu’il peut être désuni, réunit ABDULLAH MINIAWY – voix, chant, composition; PETER CORSER – saxophone, composition; KARSTEN HOCHAPFEL – violoncelle et le guest de renom ERIK TRUFFAZ – trompette. Au vu de ce line-up, mais aussi et surtout du statut de porte-parole de la jeunesse égyptienne que brandit MINIAWY, également poète-slammeur, on pressent une profondeur, une singularité dans le contenu, que les neuf titres du disque ne tardent pas à colporter. Autour des incantations du leader, en quête de justice et de liberté, s’enroulent les trames de ses compagnons. Jarda Al Wadi, le premier, instaure un climat qui s’il se fait feutré, n’en est pas moins intense. On écoute, presque religieusement, l’incantant. On se fond, avec délices, dans le jazz velouté, mais aussi très libre, en relief et en grief contre ce monde, du « gang » qui l’épaule. Le piège est dès lors tendu, le ton adopté et la personnalité du projet forcent à l’immersion. Pearls for orphans, d’une trompette merveille en ornement dépecé qui peu à peu s’étoffe, produit le même effet. En live, Le Cri du Caire, ça émeut à mon sens jusqu’à la transe, ou au mutisme du à la maestria du résultat. Ici et sur support, déjà, ça embarque son monde. C’est aussi un rempart, très sûr, contre le convenu et le formaté.
Splendid tales, sur tapis de cuivres un peu ivres, de pair avec ce chant qui s’en va, possédé, s’en prendre aux possédants, se fait entendre. C’est beau certes, mais pas seulement. Balaya, à l’ambiance insistante, aux giclées cuivrées joliment bridées, précède Le cri du poète et sa clameur/ferveur toute aussi habitée, drapée des mêmes étoffes majestueusement insoumises. Le morceau est bref, mais estimable. Sadiya (Purple feather), plus bourru, plus sombre et vivace dans le débit vocal, sans se déparer de la flamboyance qui caractérise ses auteurs, amène un surplus de flux, une intensité qui si elle préexistait bien entendu à ladite composition, prend là une forme variable. Ses vocaux y alternent, de tonalités tranchées. C’est superbe, tout juste superbe. Le Marcheur, bleuté et exalté, laisse ses volutes errer. L’instrument s’emporte, l’auditeur il porte.
A la suite Kama Kano, à la tchatche quasiment hip-hop en son début, sur flots électro exotique et langue évidemment dépaysante, assied l’opus dans sa vaste portée. Il est tribal, enflammé, fin mais aussi offensif. Les cuivres, encore, quittent la route. Le Cri du Caire, de toute manière, n’en a cure. C’est en lisière qu’il s’exprime, dans ces terres qu’il a lui-même défrichées. C’est Haqeq Al Jannah, l’ultime de ses labours, qui frémissant, retenu et malgré ça ardent, passionné (et passionnant), porte le coup de grâce. Album de révolte, album fédérateur, Le Cri du Caire risque de résonner aux moindres recoins du globe, en appel à une union mise à mal par une sombre armada de malfrats sociétaux qui nous gouvernent sans gouvernail.