Issu du mouvement « Geniale Dilletanten« , dans l’Allemagne des early 80’s, Sprung aus den Wolken m’apparait comme le symbole, ou l’un des symboles ultimes, d’une liberté musicale subversive qui, à l’écoute et dans l’attitude, vitriole la bienséance. La réédition de ce disque éponyme, paru en 1982 et longtemps épuisé, en fait montre, remastérisée et porteuse de notes de livret signées Alexander Hacke, histoire de faire bon ton. Son artwork est aussi revu mais ce qui importe, en l’occurrence, reste le contenu. Les berlinois, sans limites, y naviguent entre dub, post-punk, rebords cold et voix psychiatriques, le tout amalgamé avec soin et adresse. Les slaps de Noch lange nicht, son dub taré nous placent de toute manière sur des rails qui bifurquent et contestent. Freue mich auf dich fait de même, dans une veine qu’on appellerait indus si elle ne se montrait pas aussi hybride. C’est aussi électro, taillé dans les stridences, bordé de sons qui (se) lézardent. Le chant est, à nouveau, fou. On s’entiche, en amoureux des sorties de route stylistiques, de l’opus en entier. Warte, sans plus attendre (notez l’humour…), lance lui une forme de dub syncopé qui pas plus que le reste, ne se classe. Sei still offre des sons joueurs et cinglés, puis A-i Akcam La slappe sur des tonalités dub, psyché et je ne sais quoi d’autre. Je ne cherche d’ailleurs pas, notez-le bien, à tout saisir. Sprung Aus Den Wolken s’écoute, se découvre et se redécouvre sans fin, ou pas loin.
Le disque voit le jour, de plus, chez Bureau B. Adepte des ressorties de choix, le label d’Hambourg se dote là d’une nouvelle étape marquante. Que Pa, lunaire, lui apporte de l’apaisement. Un trip, aussi, bien perché. On reste, de ce fait, en phase avec le décalé récurrent de l’opus. Als wäre nichts gewesen, sur fond de chants absolument frappés, comme sortis de cellule capitonnée, chloroforme l’auditeur. Son pouls est électro, sa teneur indéfinissable. Déjà perturbés, il n’arrange pas notre affaire. Begehre dich non plus, avec ses salissures alliées à des chants psyché. Ses rythmes se tribalisent, on quitte alors définitivement les sphères du convenu. Et du convenable. Nur noch Beben suit, indus, entre râles et cris. Soniquement ce bazar est une jouissance totale. Mach mit mir was du willst également, plus cadencé, froid et, tout de même, nappé de sons qui tendent presque à s’enjailler. Mais pas trop, tout de même! On n’est quand même pas là, quand on se nomme Sprung aus den Wolken, pour narrer les joies de notre monde. Urlaub für ganz Berlin, de boucles hirsutes en secousses fumeuses, en dépeindrait plutôt, même, la laideur. Tout en se montrant, à l’audition, plus que convaincant.
On se dirige alors, ayant en poche notre large dose de joie vicieuse, vers la fin des (d)ébats. C’est à ce moment là Längst fällig, serti de voix d’ailleurs, qui impose ses sonorités à nouveau givrées, dérangées, et son genre sans nom auquel on ne dit ni ne donne non. Je joue avec la langue; Sprung aus den Wolken le fait, lui, avec les sons. On en tire grand profit, il est certes nécessaire de s’y adonner tout entier mais au terme de l’expérience, on a bien souvent le désir de la reproduire. Gong A Minute, sur à peine plus d’une minute, lui mettant fin dans une coulée indus martelée et obsédante, en conclusion d’une réédition à se procurer sans plus tarder.