No Tongues, c’est Alan Regardin – trompette et objets, Ronan Courty – contrebasse et objets, Ronan Prual – contrebasse et Matthieu Prual – saxophones et clarinette basse. Leur registre, de mystères sonores en textures vocales éparses mais marquantes, hors-cadre, mérite attention et persévérance. ICI, c’est le cas de le dire, on se fait dessoucher par huit titres d’un jazz aventureux, libre et enveloppant, qui nous régale d’atmosphères à la limite de l’imaginable. Tantôt elles se noircissent (Makam fantôme), des voix fantomatiques s’en extirpent. C’est beau et un peu plus, ça fiche les foies et ma foi, le voyage se prend. Sans retour car avant cela et ensuite, No Tongues aura perpétué une approche nulle part ailleurs audible. Kulning le démontre, ses cuivres font les fous et déjà, l’emprise opère. Le décor est sombre, d’un élégant qui subjugue autant qu’il dérange. Les sens, sans délai, sont mis à contribution. Chien chien, aux chants cinglés/captivants signés LINDA OLAH, non-tenus en laisse, sèmerait presque l’effroi. Le froid aussi, délectable, qui émerge d’une trame à l’étirement sans fin, craquelé, trituré, entièrement passionnant. Ou fatiguant, si de cette caste tu n’es pas.
Alors, on poursuit sans toi. No Tongues signe un Parrandada de entroido de canizo aux vocaux de style -ceux d’Elsa Corre, pour être plus précis-, surlignant un déroulé mystique mais avant toute chose, ne se définissant pas. Si j’écris ces mots, c’est d’abord pour vous persuader de la nécessité de l’écoute, de l’immersion, d’habiter ce disque et de le laisser vous envahir. Notons qu’il sort sur trois labels résolument différents -le mot est d’ailleurs faible-, leur faisant honneur dans une audace pour le moins porteuse. Ses durées poussées, de plus, accroissent la portée d’ICI. LOUP UBERTO, sur Fronni d’Alia, type le rendu. Ailleurs, sur les Kulning et Makam Fantôme cités plus haut, c’est ISABEL SORLING qui s’en sera chargée. Avec autant de prestance, ça va sans dire. On entend, dans les chants, douleur et ferveur. Et bien plus encore. L’expressivité est confondante, l’inventivité sans précédent connu. Coeur de la Montagne, en secousses et grondements, crée à son tour un climat malsain, des vignettes sonores -et soniques- qu’il est bien difficile de rejeter. On ne s’y essaye d’ailleurs pas. Les musiciens, explorateurs invétérés, sont allés dégoter dans le quotidien, des sons pourtant extra-ordinaires quand on leur prête l’oreille.
Photos Emmanuel Ligner.
Il faut suivre certes, mais je t’en prie, ne décroche pas. Si en phase tu restes alors Onze heure trente et une, dans une sorte d’électro de la lune, un peu tribale, te retiendra captif. Il obsède, de ses nappes à l’effet psyché à la dégaine de rengaine réitérée qui d’un seul coup s’interrompt. Imparable. Ce n’est pas fini, Finis Terrae déraisonne une dernière fois. Céleste mais bien entendu déviant, doté de voix songeuses et cinématographiques, il offre une ultime virée dans l’ailleurs, dans une recherche qui pour livrer toute sa sève vous contraindra à de multiples passages. C’est personnellement mon troisième, à l’heure où je boucle cet écrit, et certainement pas le dernier. L’assimilation, en effet, incite fortement à poursuivre l’expérience qu’initie No Tongues, le temps d’une galette bien plus recherchée que nombre d’autres sorties actuelles et passées mais aussi à venir.