A l’heure où ressort le fameux Plug, l’album des débuts, et où parait un live intense, Sloy répond aux questions de Will Dum par la plume de son batteur, Cyril…
1. Comment s’est formé Sloy? Comment votre avènement a t-il été perçu à Béziers, où vous étiez basés à vos débuts ?
On s’est rencontré au lycée, tout simplement. Personnellement, je n’ai pas la moindre idée de comment notre «avènement » a été perçu ! Dès le départ, se retrouver et faire de la musique a été pour nous une activité sérieuse, jamais un passe-temps, et cela était considéré comme « prétentieux » par pas mal de personne dans un premier temps. Je me souviens qu’il y avait un gros sentiment de « défaite » à Béziers. Beaucoup partaient du principe que le simple fait de venir de cette ville était un handicap insurmontable, ils ne comprenaient même pas notre démarche. La « normalité », c’était reprendre du Goldman et écumer les bars sur la côte durant l’été (rire).
2. Ne fait-on pas figure d’ovni musical, à Béziers, quand on s’appelle Sloy et qu’on pratique une « zik » entre Devo, Joy Division et Fugazi, pour résumer ? Qu’est-ce qui vous a amenés, d’ailleurs, à ce son si singulier, très…Sloy, finalement ?
C’est sûr, il était plus facile de se faire des amis autour du rugby que de la New Wave ou du Post-Punk… Paradoxalement, ce qui nous reliait, c’est que nous n’avions pas du tout les mêmes goûts, mais nous étions curieux de ce que chacun d’entre nous pouvait apprécier, des nouveaux horizons que ça pouvait ouvrir musicalement. Je pense sincèrement que « notre son » vient de cette singularité. Souvent je me suis dit que nous ne nous serions jamais ni rencontrés, ni formés dans une ville différente, plus musicale…
3. Comment se portait, à ce moment, la scène de Béziers et des environs ? Avez-vous pu nouer des contacts avec des groupes et structures du cru ?
Allez, tout n’était pas aussi négatif que ce que je viens de dire. Il y avait cette asso, « les Zazous Associés », très active en termes d’organisation de concerts. Elle était à géométrie variable, constituée de pas mal de musiciens, tous plus âgés que nous. Ils ont été les premiers à nous faire confiance. Nous avons beaucoup gravité autour… de concerts en soirées amicales. Ça a contribué à nous ouvrir musicalement et permis d’avoir un autre point de vue sur le milieu de la musique, à mon sens. Ils nous ont soutenus, encouragés à partir même. Sinon il y avait Drive Blind, à Montpellier, mais il a fallu partir à Rennes pour vraiment les connaître.
4. Assez vite vous quittez Béziers pour Rennes, pourquoi ce choix ? Que vous a apporté cette « délocalisation » ? Rennes était à ce moment-là une ville très rock, foisonnante. Ça vous correspond parfaitement non ?
Il y avait déjà d’un côté, la volonté de quitter Béziers pour des raisons propres à chacun. Mais au delà de ça, c’était aussi le besoin de jouer sur scène, l’éventualité étant très limitée dans la région. Je ne sais pas pourquoi, c’est en Bretagne que notre musique a accroché immédiatement, alors que nous démarchions pourtant partout en France. Nos premiers concerts à Rennes remontent à 1992, pendant le « off » des Trans qui ne s’appelaient pas encore « Bar en Trans ».
Il y a eu, suite à ça, un effet « boule de neige » : chaque nouveau concert en entraînait d’autres. On passait le plus clair de notre temps là-bas, et plus particulièrement à Rennes qui était devenue notre point de chute quand nous ne jouions pas. Il y avait toujours un concert à voir, un groupe à rencontrer, un professionnel à solliciter, un local où répéter, voire même enregistrer si besoin. Nous nous sommes intégrés à notre insu. Le constat au bout d’un an était sans appel, l’apport musical incontestable, nous avons tout simplement décidé d’y rester.
5. Quand on réécoute votre discographie, ce qui est très souvent mon cas, il en émane un sentiment d’urgence, de créativité à peine jugulée, sur un temps court mais extrêmement productif, et d’identité très marquée, à l’écart de toute mode. Comment travailliez-vous, au sein du groupe, en termes de composition ? Est-ce le besoin de se démarquer qui a guidé l’avancée de Sloy ou sa manière de jouer/d’enregistrer ?
Dès nos débuts en 1991, l’objectif était la scène. Même si nous n’en avions pas encore l’expérience, même si nous n’étions pas en mesure d’assurer un set complet, faute de titres, nous ne pensions qu’à jouer. Ça pourrait ressembler à de l’inconscience, mais je ramène ça plutôt à une certaine philosophie punk qui partait du principe que nous n’avions rien à perdre, tout à gagner. On adorait ça !
Encore aujourd’hui, j’adore toujours la scène; c’est comme ça, on ne peut rien y faire. Je caricature un peu mais pour moi, enregistrer, c’était ce qui permettait de faire d’autres concerts. De notre prestation aux Trans-Musicales de Rennes en décembre 1994 à l’été 1997, à part une pause pour enregistrer Planet of Tubes, nous avons tourné non-stop. Bon, ça a ses limites, nous avons ensuite fait une pause d’un an. À se demander si cette absence de scène ne nous a pas peut-être tués ? Une tournée plus tard, nous étions séparés…
Armand (Photo Pepete l’Or)
6. Que vous a permis la formule trio ?
Il faut être pragmatique dans la musique… De pouvoir tenir à trois à l’avant de notre camion quand on prenait la route, ça nous permettait même d’y dormir (rire).
7. Comment viviez vous la scène ? Pour vous avoir vus 2 fois, dont une à la Lune des Pirates où Armand a fait chanter le refrain de « You cry » à une jeune fille dans la fosse, j’ai eu l’impression que c’était pour vous libérateur et très axé sur le partage…
Je me souviens qu’on se disait que chaque concert allait être le dernier. Pour la petite histoire, nous avions enchaîné trois dates dans des conditions totalement différentes. Premier soir, première partie de PJ Harvey au Forum à Londres. Le lendemain, on partageait la scène avec Suède dans un festival à Arras et pour finir, le surlendemain, on jouait seul dans un bar PMU. Selon notre manager, tous les concerts étaient très bien, mais celui du bar PMU l’avait le plus retourné. Normal, c’était le dernier (rire) !
8. Pour le mois d’octobre sera réédité Plug, votre tout premier album, alors que sortira également, comble du bonheur, un live de versions inédites. Pourquoi Plug plutôt qu’un autre et comment s’est fait le choix des titres qui alimenteront le live ? A t-on des chances de voir ressortir, à la suite de ce Plug séminal, Electrelite et Planet of tubes ?
Tout va ressortir en vinyl et cd, sur une période de trois ans… Normalement, si les pénuries ne viennent pas nous retarder, comme c’est le cas en ce moment. Nous les ré-éditons logiquement dans l’ordre chronologique. Les cd seront agrémentés de bonus. Pour « Plug », les quatre titres du maxi « Fuse » et la face b du 45 tours « Pop ». Pour « Planet of Tubes », les quatre titres du maxi « Electric Session 1 . Pour « Electrelite », les trois titres du maxi « Electric Session 2 ». L’intégralité de notre fanzine « Electric » sera offert en bonus. Éric (Sourice, du label Nineteen Something) tenait également à sortir un live, donc nous avons fait un gros travail d’archive et avons exhumé dix titres issus d’enregistrements qui couvrent la période allant de 1995 à 1999.
9. Je suppose que pour ce type de réédition Nineteen Something était le label « rêvé », non ? Là encore, qu’est-ce qui vous a donné l’envie de ressortir vos disques ?
Les Thugs ont été un groupe de référence dès nos débuts. Éric Sourice, l’ancien chanteur-guitariste qui s’occupe aujourd’hui de Nineteen Something, nous avait le premier proposé un contrat à l’époque de son précédent label « Black & Noir ». Nous avions décliné son offre et préféré signer chez « Rosebud », le label rennais d’Alan Gac. Quand dernièrement, il nous a proposé de ré-éditer tous nos albums, nous ne pouvions que dire oui. C’était un juste retour des choses.
10. Comment et avec qui avez-vous avez vous oeuvré sur ces rééditions ?
À part Nineteen Something, nous et nous-mêmes ? Alors, avec la photographe Pépette Laure qui avait photographié notre première prestation au festival de Dour, en 1995. Ce sont donc ses photos qui sont sur la pochette du live. Mais il faut également souligner que si le live existe, c’est grâce à Stéphane Douillard, un fan qui m’a avoué avoir « piraté » une douzaine de nos concerts depuis nos débuts. Je lui ai demandé à écouter par curiosité, et j’ai été épaté par la qualité des enregistrements. Sans lui, plusieurs titres ne seraient pas sur l’album.
11. Qu’attendez-vous, justement, de ces ressorties ? C’est parfois le moyen de se faire connaître à nouveau, d’une frange nouvelle, ou encore de rendre les créations d’un groupe à nouveau disponibles…
Personnellement, c’est la surenchère autour de nos disques, sur les sites de vente d’occasion, qui m’ont motivé. Voir notre premier album vinyl vendu à des sommes astronomiques, ça me rend fou. Si ça peut mettre un terme au phénomène et permettre aux amateurs de s’acheter les disques à un prix décent, je serai enchanté.
Virginie/Cyril (Photo Pepete l’Or)
12. Pouvez-vous me dire quelques mots (ou bien plus) sur vos projets post-Sloy comme 69, mené en duo, ou Corleone où figurait la rythmique de Dionysos ?
ARMAND :
Nous avons Virginie et moi sorti 3 albums avec 69. Pour l’instant le projet est en stand by, on attend d’avoir des choses à dire pour continuer. 69 est un groupe cold wave post-punk electronica. Nous utilisons exclusivement notre boite à rythme, la CR78 et le Rogue de Moog. En 2016, notre fils et nous avons eu un grave accident de voiture. Un vieux a perdu le contrôle de son véhicule et est venu nous percuté de plein fouet. On a failli y passer, ça nous tellement retournés et marqués que nous avons écrit Heroic et fait un court-métrage avec Sacha notre fils (en acteur principal).Ça été une thérapie pour tous les trois. De ma vie de musicien, je considère cet album comme le meilleur.
En parallèle, nous avons monté le groupe Corleone avec les potes Rico et Stephan de Dionysos. Un vrai power trio ! On a sorti 2 albums, on a fait quelques tournées. On a passé de super moments ensemble.
Mon nouveau projet s’appelle Chateau Bandit. C’est un projet qui vit sur deux tableaux : le premier où je vais reprendre ma guitare avec mon son et mes plaques d’aluminium entre les cordes, accompagnées de mes vieilles boites à rythmes. En second, je suis un fan des Urbex (Exploration Urbaine) et je vais continuer à trouver de nouveaux lieux pour y enregistrer des morceaux en « one shot ». J’arrive, je pose mes enregistreurs portables, je joue et je m’en vais. C’est un projet très excitant.
69.
13. Par extension à la question précédente, quels sont vos projets actuels si ce n’est, évidemment, la réédition du son de Sloy ?
Pour ma part, je suis aujourd’hui dans « Zone Libre » avec Serge Teyssot-Gay et également dans « Versari », groupe composé de Jean-Charles Versari -avec qui j’ai aussi créé le label T-Records- et Laureline Prod’Homme de Candie Prune, autre fameux groupe rennais. Cette année va plutôt être accès création je pense. Avec Versari, nous allons bientôt commencer à composer de nouveaux titres. Nous avons eu la malchance que « Sous la peau », notre dernier album, sorte pendant le premier confinement. Il est donc mort-né. Tous nos efforts pour qu’il existe un minimum ont été vains et cela nous a beaucoup affectés… enfin comme beaucoup de groupes j’imagine. Et avec Zone Libre, nous préparons un nouveau ciné-concert sur « Les 3 lumières » de Fritz Lang. Voilà, ajouté à la ressortie du catalogue Sloy, tu sais tout.