Il faudrait un livre. Dense, riche, et pas seulement ces quelques lignes, pour résumer le parcours d’un Phil Von qui depuis l’épopée Von Magnet, toisant les courants usuels et convenus, n’a eu de cesse de défricher, innover, déconstruire, au gré d’idées en nombre. En groupe donc, de manière collaborative aussi, puis en solo, notre homme, tout à la fois compositeur, acteur, danseur et performer plus que reconnu, trace des lignes profondes, pensées, d’un trait définitif. Ce Von Magnet, bien entendu, en est. Du flamenco dopé à l’électro, et pas seulement, de l’ère Von Magnet, on retrouve ici tous les éléments dont la magie, intacte, opère pour l’initié à la première écoute. Ultima Chispa, d’un Andalou aux syncopes montant en intensité, animé par un chant habité, pose une première pierre solide, base d’un édifice qui s’il s’annonce comme un clin d’oeil aux airs d’épitaphe enchanteresse, n’en met pas moins en exergue la superbe de Von Magnet. Finesse du jeu, parfois enflammé, et dépaysement de tous les instants assurent à l’auditeur une expédition mémorable, au gré d’un circuit sonore inspiré. Tout, scandé, aux textes élevés, suivant lui un sentier de braise. Racé, Phil Von chante, écrit, tournoie, fait vibrer les corps, comme à la première heure. Il y a du Young Gods, pour le coup et sur ce titre, dans ce que couche sa plume. Le Français, auquel il recourt, trouve sa place sans forcer. Il souligne même, à l’évidence, la force de ses mots.
Plus loin Let Me Dive, au chant de crooner des ombres, impose à son tour une magie confondante. Il entre en possession. De ma personne, de tout amateur potentiel, de tout un chacun désireux de s’investir dans l’écoute. Le violon d’Hugues Vincent orne le tout, sublime. On notera dans le même élan, d’ailleurs, la flamboyance des invités. Dani Barba, de sa guitare flamenco, transcende la moitié du disque. Tit’o, pour sa part, l’électrise avec brio. Flore Magnet est même de la partie, sur ce Tout ensorcelant. Mais reprenons le Phil (facile..), The Maps Of My Worlds insufflant un bouillonnement -rythmique, sonique-, un cachet vocal, une subtilité dans l’interprétation qui en font un must absolu. Puis c’est l’ Envol, qui pousse plus loin encore le déracinement. Sans comparaison possible, porté par des effluves que sa voix surligne et enflamme, Phil Von marie le feu et le ciel, la terre et la flamme, le corps et le verbe, pour nous emmener dans un ailleurs. Antecamara, obscurément céleste, instaure une finesse bridée, resplendissante, qui coupe joliment les élans ardents de l’opus. Lequel, lorsqu’arrivent les incantations de Physalide, flirte dangereusement avec le grandiose.
Insidieusement immersif, tantôt plus direct mais toujours ouvragé, Phil Von a pour écrin Unknown Pleasures Records, dédié aux projets qui comme lui diffèrent. Le fiddle d’ Algirdas Klova, épars mais notable, brode des décors de choix. Golpe De Gracia, bien nommé, embrigade le flamenco. Il en conserve la grâce, le cachet, qu’il enrobe dans des textures au delà de l’inventif. Rythmiquement, l’album est d’ailleurs diabolique. L’Espagnol, ici, en accroit le pouvoir de transport. C’est aussi, sur Diluvio, ce qu’initient le violon et le fiddle, alliés dans une creuse à l’élégance, au trip mental et musical, dont on ne revient pas. Ceci sur plus de sept minutes dont le second volet s’emporte sans complètement dérailler. Alors que l’auditoire, lui, a d’ores et déjà succombé. Whispered Future, dans un éclat final aux convulsions éloquentes sur lit de chant susurré, lui assénant une dernière étreinte purgative et salutaire, à l’issue d’une oeuvre majeure et perpétuellement magnétique.
Photos Svetlana Batura.