Maitres es rééditions en lisière, dont il peut être fier, Replica Records nous fait cette fois la joie de ressortir, en boxset mais aussi à l’unité, les 4 albums du Lard Free de Gilbert Artman, multi-instrumentiste de génie, sorti d’un tunnel underground 70’s où il s’autorisa toutes les audaces, suivi en cela par toute une clique de musiciens d’esprit similaire. Un live ponctue la ressortie, reçue chez moi dans de superbes vinyles sur lesquels repose un son barré, perché, sur lequel tu t’envoles ou t’angoisses, c’est selon, en fonction des climats qu’il exhale. Lesquels, entre prog, free-jazz, expérimental et ambiances grinçantes, capturent de suite l’auditeur qui s’implique, lancé dans l’immersive découverte d’une oeuvre majeure. Et fondatrice. Quatre Objets Sonores Non Identifiés qu’il est difficile de décrire, mais que l’écoute révèle à chaque exploration. Entre La chevauchée des vaches qui rient, animalier, délirant, noir et jazz dans tout ce qu’il a de plus taré, et par exemple ce Choconailles enjoué, sur Unnamed, on vit une démarche hautement singulière. Dans une musicalité osée, Lard Free bouscule les esprits, groove dans tous les sens, tient debout sans l’avoir cherché. De mes 4 supports à sillons, depuis leur réception, je ne cesse de visiter les moindres méandres. Et il y en a!
On y trouve, aussi, écarts et dissonance. De l’unité dans les incartades, un jeu aussi fou que maitrisé. Une versatilité sans appartenance, qui flirte avec les genres pour un créer un nouveau, jamais entendu. Lard Free déconstruit; Spirale malax, sur le rougeoyant III, délivre dix-sept minutes spatiales et psychiatriques, vrillées, brumeuses, souillées. In A Desert-Alambic, tiré d’ I’m Around About Midnight, se répète au point qu’on ne peut plus le fuir, comme aimanté. Pâle Violence Under A Réverbère, sur le même opus et tout en s’ajoutant à la liste des titres à l’intitulé cinglé, induit la même emprise. Prog, dit-on? C’est bien plus que ça, c’est Lard Free et soudain le morceau se hérisse, part en vrille(s), sans quitter un hypnotisme addictif. Avant lui, Tatkooz à roulette aura lui aussi semé le trouble, s’animant au bout de longues minutes de quasi inertie jusqu’à atteindre le haut des cieux. Alors que Gilbert Artman’s Lard Free, au son de l’introductif Warinobaril, crée d’emblée une trame jazz-noise trippy salie autant que racée. Artman prend la tangente avec, à ses côtés, un groupe prompt à s’évader. Et nous avec, au gré d’écoutes forcément successives. Sous Acide framboise, nous irons nous oublier, nous égarer dans des sphères blues-jazz erratiques, célestes, dans une trainée d’éther sonore. Un foutu régal, un trip dont personne ne reviendra.
Culturez-vous vous-même !, clame l’ultime composition de la galette au couteau. Si c’est ici, sur ces ressorties, qu’il faut s’y adonner, alors j’en suis. Noisy son Sec, carillonnant, me pousse dans mes derniers retranchements. Sa batterie titube, ses sons entrent en collision. Il est lunaire, bruyant aussi, fissuré, balafré et grandement éloquent. Je dépose alors une autre galette, le saphir me joue Violez l’espace de son réfrigérant et tout en admirant les vinyles, ou plutôt leur merveilleux emballages, je me réenvole. J’ai quitté la terre, tombé dans le guet-apens de créations dédaigneuses de toute règle limitatrice. Lard Free, à l’instar des Potemkine et autres Speed Limit, pour faire court, impulse là quatre voyages sans appel, profonds et follement prenants, dont on aurait tort de se priver. Le tout siégeant dans des pochettes de toute beauté, en phase avec un contenu qu’on ne peut complètement dompter. Du grand art aux airs de grand bazar, profitable bien au delà du raisonnable.