Depuis 1988 et son album Détails, qui n’en était pas un, Laurent Pernice s’est fendu de près de vingt albums. S’il oeuvre personnellement, il crée aussi avec Artonik, Pixel 13, et les « errants » musicaux géniaux de Palo Alto, ou encore avec l’écrivain Alain Damasio. Affairé à défricher, à s’affranchir des règles, il ressort ici son opus de 2018, A world too late, PARU sur un obscur label suédois, sous la forme d’un dvd incluant 18 clips, auquel se greffe un cd réitérant le contenu de l’album de départ. Les 2 supports se retrouvent couplés en un tout nommé UMTT, soit Un monde trop tard et autres étranges poésies. Un sacré foutoir que dans un premier temps, j’ai bel et bien failli remiser car sincèrement, le complexe, ça commence à me gaver.
On s’y perd, on décroche, on maudit ces p++++++ d’artistes qui ne font rien comme les autres et nous contraignent à nous triturer les méninges pour remettre de l’ordre dans leur désordre. Sauf que Pernice mérite depuis des lustres, et l’objet vous le prouvera, qu’on s’immerge dans son Monde. Même trop tard. Car outre ses clips, qui marient le barré et l’imaginatif, ses sons, sur le cd, captivent et embarquent. A World Too Late, éponyme, impulse le premier décollage. Voix répétées, électro spatiale mais alerte, motifs décisifs. Un trip, mécanique, à la réitération qui vrille les esprits. Les vocaux se font en une langue que je ne parviens pas à distinguer mais qui, magnétique, dépayse à l’envi. C’est trop tard, Pernice t’a chopé. Et Pim Pam Poum, il t’obscurcit au son d’un titre psyché, chuchoté, à l’emprise psychiatrique.
Oh, voilà que pour le coup, je repense à ces diables de Maman Küsters. C’est quelque chose. L’effet est le même, définitif. Hyperdelic Structures (YMO is n°1) est syncopé, vocalement perché. A chaque morceau, de toute façon, on se fait désarçonner. Avec vice, avec délices. Laurent Pernice, c’est une embardée. Par le son, il fait surgir des images. Par l’image, il modifie nos perceptions. Il désoriente, conçoit des sons dont on ne peut plus de séparer. Armenian Soul fuse dans les cieux, électro Pernicienne. Et pernicieuse, clamée par un certain Haïk Gouchtchian. Il n’y a qu’à visiter la discographie du sieur Pernice, aussi longue que barbante car sinueuse, aussi passionnante qu’exigeante, pour prendre la mesure de sa démesure. Où se tirer de là, irrité par ses perpétuelles investigations. Mais celle-ci, depuis que je l’ai reçue, me possède. J’en suis accroc, ses langues inconnues me mettent à nu. Cheval de bataille me nuit, poste une cadence marquée. Un saxo, je crois, le déchire avec classe. Ah mais oui, c’est Jacques Barbéri. Donc, ça dévie. Une certaine vague, à son tour, brouille nos pensées. Les éthère, les étire. Les oiseaux, à tire d’aile, remet de la clarté dans le tunnel. Quoique…son électro au fond cold, sur verbe imagé, fait resurgir des ressentis profonds. Op. 15 n°7_Schumann Revisited initie une virée dans l’espace, psyché, droguée.
Après lui L’incendie, de début jazzy, place une flute qui emmène. Ailleurs, bien évidemment. On l’y suit et Pernice, « anyway », n’en a que faire de notre confort. Il le déstabilise, le fait trébucher, n’a de cesse de nous en extirper. Ca nous fait grand bien. Ainsi Ultra love, court, prolonge t-il le voyage. Pour laisser finalement L’espoir, bonus lié à l’édition CD, glisser un quasi silence aux airs de fin du monde, comme si après Un monde trop tard, plus rien n’existait. Avec en sus le dvd mentionné en début d’article, parfait complément à ce support CD, UMTT-Un monde trop tard et autres étranges poésies allie excellemment son et image, au point d’exacerber la valeur du rendu mais aussi, et surtout, les sensations que son audition fait poindre. Ceci en abordant, explicitées dans un généreux dossier de presse, des thématiques qui elles aussi stimuleront la réflexion. Superbe ouvrage.