En janvier 2004 sortait ce Radio Ape, troisième galette du dDamage des frères Hanak. D’un savoureux à te rendre amoureux, marquée par les cultures respectives des deux bonshommes -rock pour l’un, hip-hop pour l’autre- , la rondelle a alors fait figure d’OVNI, dégueulant une électro poisseuse et noisy -mais pas seulement-, à l’écart des modes comme ne cessera de l’être le projet dDamage. En ce mois de mars 2022, soit dix-huit ans après, Ici d’Ailleurs nous fait le plaisir de ressortir l’opus, agrémenté de 4 morceaux tirés l’EP Pressure et de 3 bonus tracks issues des sessions d’enregistrement de l’album. C’est un délice Anaïs, dès les secousses sales de Pressure ça blippe dans tous les sens, ça groove chaotiquement et de suite on se perd, dans le dédale captivant orchestré par la fratrie Hanak, dont surgissent des voix traficotées. Ces derniers laissent les aspérités, qui font le sel de ce Radio ape, joncher leur disque. Après Interlude Insects are human, spatial, lance un hip-hop vaguement jazzy, tordu et lancinant, qui pousse de travers en s’offrant des voix brumeuses. Du génie. Le singe figurant sur la pochette, conquis, allant jusqu’à en fracasser son poste de stupéfaction. Liquid words, finaud et mélodieux, lui plaira tout autant. S’il aime à faire crade, dDamage se montre d’une habileté absolue dans le recours à des trames étoilées. C’est du fait maison, lunaire, décalé, posé dans un digipack magnifique.
Aeroplanes, dans cette même veine céleste, poursuit l’entreprise d’emprise. Le duo se met hors-jeu, non pas qualitativement mais vis à vis de toute posture convenue. Dans ses doux fracas, on trouve l’un des disques les plus originaux, aujourd’hui encore, d’une mouvance qu’on ne peut précisément définir. Try again est syncopé, vocalement ouaté, sereinement dérangé. dDamage, ordonné dans son fatras, nous régale après ça d’un Keedz intenable. Comme nos kids. Son électro grésille, se densifie, fait fuser des sons singuliers. On parle, à l’endroit de dDamage, d’une rencontre entre Autechre et Sonic Youth. Pour ma part, je dirai dDamage, sans rapprochement précis. Le chant s’emporte, il scande. C’est Radio Ape, chopable sur un fréquence savamment brouillée. Agueev revient à un climat nuageux, à la tranquillité trompeuse. Il est, bien évidement, trituré. Ink, qui le suit, se fait plus frétillant. Mais toujours, on l’aura compris, maculé de cambouis. Hip-hop oui, joueur aussi, imaginatif jusqu’à en perdre toute direction affirmée. Qu’il est bon, qu’il est jouissif, de se faire percuter le bulbe par ce Radio ape.
C’est ce que fait Maeban, presque psyché dans son chant venu d’ailleurs, de très loin, d’un exotisme à la narration hypnotique. Là encore, j’adore. Radio Ape t’extrait de tes bases, t’arrache à tes repères, t’assomme de son I feel so badD d’obédience électro-rock, enfin je crois. La voix, là aussi, braille sur fond de sons en cascades. Diantre! Voilà du solide, lancé comme un bolide sur la route de l’innovant. Le chant retombe, plus posé. dDamage fait feu de tout son, impose ses ruades, les tempère par des plages un brin plus sages. On precinct 13, tranquille et joliet, en est. On se laisse porter. Puis d’un coup, le morceau s’endiable rythmiquement. Trop bon. Et comme si ça ne suffisait pas Tsunamiii, de ses tons d’Orient, remet de la meringue dans la seringue. Il se fait sirène, troublant sa quiétude initiale. Intro débarque ensuite, d’une autre planète, avec ses séquences et voix réitérées. Dingue. Court, mais saisissant.
A la sortie du labyrinthe Ghettoblaster ape, leste, boucle jusqu’à plus faim, dopé par des riffs rock détournés me semble t-il. Mais on en veut encore. Alors on a Ddistance, de texture éthérée, à s’intraveiner. dDamage, jusqu’au bout, défriche et refriche. Uzi, compact et sonique, ondule bourrument (je viens d’inventer le terme, ne cherchez pas trop. Idem pour « refriche » et « intraveiner »). Hydroplanes fait dans la beauté, répétée. Enfin Iron ape, dans un hip-hop pesant et hagard, capture pour une dernière salve déviante nos sens, en proie à une extase destroy due avant toute chose à la magie bancale et sinueuse de ce Radio Ape que personne ne pourra singer.
Photos Vincent Sannier.