Profondo Scorpio est un quatuor jazz libre, constitué de Charles-Antoine Hurel (batterie), Hugues Letort (basse), Pierre Millet (trompette, sifflements) et Samuel Frin (composition, sax baryton, radio, objets). Il s’appuie sur le giallo, thriller italien qui associe l’intrigue à tiroir, les assassinats à l’arme blanche et les excès formels du baroque latin, pour jouer un jazz, donc, débridé, aventureux, que ce disque éponyme relate de manière captivante. Et bien vivante. Giù le Mani sulla Paura n’en démord pas, c’est sur les rives de l’atypique que les quatre gars échouent, fort d’une belle réussite qui se démarque de bout en bout. C’est de la haute voltige, brute et subtile, percutante et retenue, qui perdurera dans ses climats et, le temps de quelques intermèdes brefs, versera dans l’expérimental un brin obscur. Le son des comparses, sur Edwige, ma dove sei?, se fait élastique, groovy, et dégage un climat tendu. On entend, dans la récurrence, une vision maison qui fait tout le piment de l’opus. On suit la clique, bien volontiers, dans ces terres où le sillon se creuse, où sa cadence s’intensifie, où ses cuivres discourent dans le volubile.
L’effet qui en émane, on l’aura compris, est de ceux qui font la différence. Nudo per l’Assassino, souple, serpente avec élégance. Il vire noise, ou presque. La surprise est de mise, Piove su Torino parait se brider. Il n’en est que plus beau encore, plus atmosphérique. On le sent prêt, disposé, à la folie. Que nenni! Il s’en tient à un format non pas classique, surtout pas, mais mesuré. Caccia Minaccia le suit façon Soul Coughing et les interludes assurent le lien d’une galette déviante, que j’aurais dotée de voix elles aussi hors-cadre. Ce n’est pas le cas mais les instrus de Profondo Scorpio, personnels, convieront ceux qui ne fuiront pas. Une poignée donc, précieuse, d’ auditeurs animés par la curiosité, l’ouverture d’esprit. Ca pulse avec fougue, en « jazzeux » on joue certes bien mais sans jamais faire dans la démonstration. Domenica Papapà file, breake. Il rebondit, quasi hagard, pour complètement convaincre. Il faut dire que cette mixture, vigoureuse, n’a pas de réel équivalent. On l’adopte donc, charmé par sa nouveauté, ses embardées, son souci constant de ne pas filer droit.
En fin de parcours le titre éponyme, à l’introduction inquiétante, répétée, finit par galoper sans mater dans son dos. On a droit, là encore, à cette foutue maestria qui caractérise nos compatriotes, que La Brutta Storia di Barbara Romero voit finir dans les sifflements à la lisière de l’heureux. On revient là des contours apaisés, au terme d’une superbe épopée à sortir sur deux labels tout aussi décalés que son contenu.