Autrefois leader des géniaux et déviants Goz of Kermeur, Adrien Kessler s’est fendu en 2004, dans la foulée d’une épopée avec ladite formation, d’un Solo en son nom qu’Atypeek réédite ces jours-ci. On y trouve, après une Intro brève mais déjà significative de la folie créative contagieuse du bonhomme, seize pièces que le très affairé -et pluriel dans ses activités- Adrien orne d’un chant fou, les faisant groover et délirer comme en proie à une fièvre incoercible. Uniform, histoire de situer le tout, se décale de suite et recourt à un ensemble de sons imaginatifs, qui virevoltent autour des vocaux. A sa suite The enemy grince, laisse libre cours à une passionnante déraison. Les compositions de Solo sont de plus souvent brèves, ce qui en renforce l’impact immédiat. Afterlife, s’il parait faire retomber la démence, revêt une beauté « destroy », dégingandée. En se répétant, il s’insinue d’autant plus aisément dans l’esprit de l’auditeur. La voix, ici aussi, fait des écarts. Angels insiste, lui, sur une retenue qui flirte avec l’inquiétant. On relève, une fois encore, la splendeur du décor et le sens du climat instaurés par Kessler. Il en sera de même jusqu’à Green horn, ultime livraison d’un format plus étiré. Un effort qui alterne inclusions cuivrées, « bridage » et coups de tronche soniques. Il y a du Kusturica là-dedans, le terme dépayse sévère et se donne quelques airs Balkaniques. J’en viens à la fin mais il importe de retenir qu’avant celle-ci Staircase et son piano cinglé aura, entre autres plages en marge, assuré son lot de sensations encanaillées.
On pourrait, je pourrais donc, m’arrêter à chacune des chansons Kessleriennes liées à ce Solo dédaigneux de la norme. Je me contenterai, en lieu et place, d’en souligner la cohérence dans ses successions d’atmosphères dérangées. Ce Arbuste qui, sûrement, a mal poussé et nous assaille de griffures électriques délicieuses. Tabula rasa et ses vagues de piano obsédantes, la récurrence de chants qui emportent Solo loin des cadres restrictifs habituellement de mise ou plus précisément, trop souvent de rigueur chez les artistes qui ne creusent que bien peu. Ici, on laboure des sillons dont s’échappent des silex, on herse une terre indocile et on en extrait la matière la plus porteuse qui puisse être. Le Français s’invite, Riche pendu joue sur sa mesure pour ensuite…s’y tenir. Prenons acte, aussi, de ces mots en phase avec le rendu sonore. Ils interrogent, bousculent et incitent à laisser la pensée flotter, se diluer, percuter la glissière. Graveyard waltz, histoire de valider un Solo débridé autant qu’audacieux, marie voix, expressive, sur le fil, et flux de sons à nouveau transcendants, avant le Tabula rasa nommé plus haut et son verbe frappé. Solo est, vous l’aurez compris, une oeuvre unique et précieuse, dans la captivante lignée de ce à quoi Goz of Kermeur a pu en son temps nous habituer.