On sait bien peu de choses de The Great Destroyer, si ce n’est qu’il s’agit d’un duo ambient-shoegaze unissant Ronan Le Goff (Guitar) et Romain Donet (Piano, Drum Beats, Noise, Glockenspiel). Ce deux titres à la durée étirée (35 minutes au total, tout de même!) décline, sur de longues minutes magnifiques qui hypnotisent comme elles peuvent faire décrocher, un bruit harmonieux, en équilibre instable, fragile et captivant. L’objet sort chez Super Apes et OVVK, il fut écrit pour l’installation de Marina Bucco, « Women and Spaces », basée à Berlin. Le trip est certain: après assimilation car il le faut bien, on n’est pas chez Indochine ici!, l’auditeur s’offre un voyage psychotrope, comme sous produit…sauf qu’ici, c’est la matière sonore qui le plonge dans la torpeur. Peu variable, l’opus est magnifique, obsédant quand, délibérément, il répète ses trames et les étend jusqu’à l’infini. Il m’arrive de penser, à l’écoute, à ce que fait Sonic Youth quand il erre, se refuse à s’extirper de canevas comme figés, sous les rênes d’un bruit tenu.
february mood instaure la première épopée, dans un shoegaze aux douces coulées. Le ton est sombre, il émane de ces ouvrages-là une sorte de lave dans laquelle on se larve, les yeux clos et les oreilles grandes ouvertes. Le morceau oscille, imperceptiblement. C’est dans sa lenteur pénétrante et insidieuse, dans son insistance à réitérer ses tissus sonores, que The Great Destroyer en vient à capturer les sens. J’ai rejeté ou presque, à la première audition, l’oeuvre de la paire. Puis je l’ai ressortie, conscient que derrière cette apparente redite se nichait un rendu saisissant. C’est le cas, si la galette ne nous sera pas quotidienne on la fera tourner, assuré de ses effets, dans un plaisir un brin déviant. Ses formats sortent du cadre, ses penchants à l’immuable exigent très certainement qu’on en dompte la texture. how to destroy devils, second jet froid à l’amorce longue, jonchée de flux noirs, enfonce le clou d’un territoire sonique unique.
Des notes fines s’incrustent, magnifiant l’effort. On en ressort changé, éprouvé aussi, l’esprit en éveil, un tantinet tourneboulé. The Great Destroyer se voue à la divagation, à ces changements de direction à peine décelables, qui feront blablater les moins ouverts, dans des expressions frappées du sceau du génie du style « Ouais tu vois, c’est pas d’la musique, le son il est pas bon en plus… ». Je les entends d’ici, « armés » de leur inculture, honnir la galette ici décrite. Je me trompe, ils ne peuvent connaitre. C’est à la frange de ceux qui savent, aux esgourdes éduquées, que s’adresse The Great Destroyer. Son auditoire est réduit, mais constitué de ceusses qui n’ont de cesse, avides de nouveauté, de défricher dans le but de dénicher ces sons précieux, en marge, bien plus ouvragés qu’il n’y parait. The Great Destroyer est à inscrire dans cette caste musicale, on l’en loue dans l’attente de ses futures incartades dont on ne peut prévoir, à mon humble avis, de quel son elles se « chaufferont ».