A la Lune des Pirates, il importe de se montrer curieux; rares ne sont pas, en effet, les découvertes enthousiasmantes, parfois éloignées de notre caste de prédilection. La soirée conviant le lillois Coole Max, pour ouvrir, puis les Suisses de Black Sea Dahu, pour finir, illustre parfaitement mes propos. Folk, certes, mais plein de vie, de sentiment, de ressenti et de reconnaissance, ce fut un nouveau temps fort impulsé par l’antre amienoise. Le temps d’échanger avec mon voisin, un nouveau venu pourtant amienois depuis belle lurette, et de nous remémorer les repas de qualité « optimisable » pris à la Veillère durant nos chères 90’s, Coole Max débarque, solo, armé de son humour, de ses peines, mises en son avec brio, d’un coeur gros comme ça et de compositions qui, raffinées, tendent parfois, sous l’effet de son chant expressif, à prendre du relief. C’est ce que j’aime, chez les artistes folk qui sortent des sentiers battus: la propension à mettre de soi, à enflammer le registre, à lui donner du coffre. Coole Max s’y adonne parfaitement, il met de l’ombrage, du crooner, presque, grave mais chaleureux, dans sa série de compositions sans maquillage ni fausseté trompeuse. C’est dans le vrai qu’il se situe, humain. C’est chez l’autre, auquel il s’ouvre, dans la vie et ses embuches, ses joies aussi, qu’il puise son élixir. De jouvence? Peut-être bien: en tous les cas on se sent rasséréné, pris dans un écrin protecteur, doucereux mais animé, à l’attaque parfois vive, à l’écoute de son set. Il fait le gêné, modeste, quand retentissent les applaudissements de la foule du soir. Touchant il est; de belles lumières Lunaires valorisent, de plus, son live de choix.
Coole Max.
De lumière il est question, justement, au bout de ses notes. A l’issue elle point, en dépit des afflictions que l’on peut percuter. Voilà une ouverture probante de plus, dans l’attente de Black Sea Dahu qu’une assistance grandissante attend en se massant face à la scène. Le sextette de Zurich, à base d’harmonies vocales, de trames folk aux emportements épars mais marqués, déroule un tapis de velours. Son indie-folk en clair-obscur, joué dans un ensemble raffiné, lui vaut de suite l’approbation des spectateurs. Il a le bon goût, de plus, d’offrir un carnet de scène étendu, loin de se réduire à l’unique mouvance folk. Il arrive que les guitares sèment le bruit, au beau milieu de canevas magnifiques. Que la batterie, sobre et feutrée, impulse une embardée. Merveilleusement mélancolique, Black Sea Dahu exprime, à plusieurs reprises, sa joie d’être là, de jouer, de mettre en commun. Un hommage poignant à la « grandma qui ne se souvient plus » se fait entendre, plus loin c’est une entrée en matière noisy qui balafre le live des helvètes. Des Helvètes esthètes, à n’en pas douter, qui iront jusqu’à jouer à l’unisson avec le public, en toute fin de concert, un a capella ou presque, dans la pénombre, d’une portée émotionnelle certaine. La fratrie de trois, accompagnée par trois acolytes, fait chanter ces dames, assises sur le marches de l’escalier lunaire. C’est un rêve, une escapade aux airs d’aubade, qu’insinue Black Sea Dahu. Janine Cathrein, la frontwoman, et sa soeur Vera blaguent à plusieurs reprises, s’essayent au Français, nous font rire autant que leur sincérité pourrait faire couler nos larmes. On rend les armes, séduit.
Black Sea Dahu.
L’absent, une fois de plus, aura contourné le bonheur. Le venu, l’assidu, ne sera pas déçu. Ni déchu. Quel que soit le genre, la programmation est ici synonyme de satisfaction garantie. Amer d’avoir raté Altın Gün, la semaine précédente, pour le compte du Festival Haute Fréquence, je rattrape le coup de belle manière avec ces deux venues persuasives, dans l’expectative d’un Bruits de Lune prévu le 15 décembre avec, à l’affiche, les diablotins scéniques de Whatever NuFunk. L’assurance, en l’occurrence, de finir l’année dans un dynamitage funk-rock de folie, au gré des chaloupes cuivrées des ressortissants de Cité Carter.
Black Sea Dahu.
Photos William Dumont.