Duo atypique, le Stereo Total de l’anti-diva Françoise Cactus et du multi-non-instrumentaliste Brezel Göring nous a abreuvés et régalés, depuis 1995 et sur la bagatelle de seize albums, de leurs compositions en marge, chantées en Français mais aussi en Allemand et Anglais. Ratissant large, celles-ci pouvaient aller du rock lo-fi fuzzy (Belami) à des chansonnettes d’obédience 60’s, tracer façon punk-rock, voler au vent (Cosmonaute), séduisant très largement de par leurs textures et attitudes, dos délibérément tourné à ce f++++++ mainstream. Avec Chanson hystérique, ce sont les dix premières années du groupe qui sont présentées, sur 6 cd, ainsi que sa toute dernière sortie avant la disparition de Françoise, en février 2021. Sept volumes, et autant de délires indispensables que Dactylo rock lance sur des tons jazzy-électro distingués, dans la langue de Goethe s’il vous plait. C’est la mort enchaine, à base de « hou-hou-hou-hou! » et de sons guillerets, en évoquant la période 60-70. Stero Total est imprévisible, passionnant puisqu’on ne peut en prévoir l’orientation. Quelques raretés s’incrustent, le coffret n’en est que plus attrayant encore. Merci à Tapete Records, excellent label d’Hambourg, pour l’idée. On navigue de tube en tube, dans la sphère d’un monde décalé et foutrement inventif. Sous des aspects foutraques, la paire narre des faits et choses dignes d’intérêt.
Notons, aussi, qu’un livre accompagne l’objet. Il regroupe les œuvres de Françoise Cactus, dessins et peintures incarnant les toutes dernières tendances en matière d’art, de sexe et de troubles psychologiques. Ca ajoute, on s’en doute, à l’impact de Chanson hystérique. Le bluesy Dans le parc résonne dans mes écoutilles, à la fois chaleureux et hérissé. Holiday innnn joue son électro appuyée, lunaire, géniale. C’est Stero Total, un peu pété du bocal. Il te fait la totale pour le prix d’une baguette. Ou presque, il semblerait que comme Brezel et Françoise je soies dans une approximation voulue. Lunatique sert un rock rétro canaille, aux jolies guitares. Mazette!, on pourrait s’arrêter à chaque titre! Je ne le ferai pas, vous cesseriez de me lire. Il n’empêche, le nombre et la qualité plaident pour Sterototal, dont la largesse cohérente et la propension à élever tout ce qu’il fait le rend entièrement…culte, d’une part, et complètement précieux d’autre part. Le duo vocal de Supergirl, magnifique, en atteste. Tout le monde se fout des fleurs, certes. Mais avec douceur, dans une ouate « maison » qui, alliée à des abords plus directs, fait son effet. Fun et perverse mais attachante au possible, en lisière de la norme. Tokyo mon amour, orné avec goût, vient s’encastrer dans le rayon des pépites sans fard. Il voisine avec Joe le taxi, dénudé, superbement « covered ».
C’est pas dur Arthur, Stereo Total ne fait rien mal. On court le « risque », ces six premiers cd, de les écouter sans discontinuer. Entre les sons de sirènes de Hep onalti d’a, punky, urgent, et Larmes toxiques qui se fait psyché, en passant par Le diable, taillé dans un rock bourru, allégé par le chant « jeunot » de Françoise, il est évidemment bien difficile de décrocher. Nous allons donc nous intéresser au septième volet, un document dans le sens où il recueille des morceaux rares. Et de haut vol, Carte postale initiant d’emblée un tir jubilatoire. Lo-fi, désossé, rugueux, mélodique mais à l’arrache. Du Stereo Total, pur jus, comme ce In out saccadé où les chants se répondent. Dégoulinant de style, bien que déviant, le groupe ne laisse aucun interstice à la médiocrité. Tu peux conduire ma bagnole dérape, marie pop sixties et zébrures sonores. Wollita ausser kontrolle souffle une légèreté subtile; on remarque à cette occasion, et derechef, la valeur et la sobriété de l’étayage sonore. Bad news from the start place un encart reggae, gorgé de sonorités groovy et acidulées. On fait les cons, un peu. On est bon, on excelle même, tout au long de ce Chanson hystérique pour lequel on peut, sans crainte, claquer son fric. Andreas Dorau déboule sur Schön von unten, à l’électro façon Rubin Steiner. Si si.
A la sortie du lycée, ça castagne soniquement. Verbalement aussi, dans la déconnade qui, depuis ses débuts, place Stereo Total au plus haut de notre estime. Hey protest, de son groove incoercible, ne rate d’ailleurs pas la cible. Avant lui C’est fini, en Espagnol, aura étiré le registre linguistique des deux fauteurs de troubles. Avec ma Valise, de son côté, se sera lancé dans une dualité chantée au cachet rétro de taille. I think somebody should call the love doctor, de ses syncopes malades, remuant le couteau dans la folie créatrice de ce projet qui, longtemps et ici encore, assure notre félicité et impose son identité, reconnaissable entre mille. Le tout avec les pochettes originales, en CD ou LP, dans un son cheap et authentique qui lui aussi, contribue grandement à créditer Stereo Total dont on regrette, ça va sans dire, l’arrêt forcé et les circonstances qui l’ont généré.