Cinquième album pour Endless Boogie, découverte pour moi. Je l’avoue. Premier gros choc kraut-blues, complètement hypnotisé par leurs effluves qui durent dix ans chacune sans lasser personne et où Paul Major (guitare, voix) pose sa voix tarée, démoniaque, pour pervertir le boulot. Avec lui Jesper Eklow (guitare), Harry Druzd (batterie), Mike Bones (basse), Matt Sweeney (guitare) et même Kurt Vile (resonator slide guitare, synth, chant sur Counterfeiter) élaborent des morceaux poisseux, sortis des marais, aux sons qui se répètent tant qu’au bout du compte, on en devient irrémédiablement accroc. La première salve tient en un The Offender de plus de vingt minutes, déjà fatal. La plupart des titres furent improvisés: pourtant ils sont recrachés, ici, dans une extrême cohérence. J’en conclus que la spontanéité sied aux gars de New-York, qui font aussi wah-wah, pour le coup et dans leurs lâchers de guitares, de manière réjouissante. On ne s’en extirpe pas, Disposable Thumbs insiste d’ailleurs en filtrant un blues-rock sale et groovy qui lui aussi perfore le mur de nos résistances. Dans la foulée Bad call, plus ouvertement rock’n’roll, braille façon Stooges. Nous voilà rassurés, ce n’est pas ce Admonitions qui placera Endless Boogie sur la voie de la sagesse. Ca rugit, le rock joué ici pue des pieds et se veut colérique.
Plus loin Counterfeiter, d’abord finement bluesy, presque « Tinariwen » dans ses sonorités, élargit encore le spectre musical. On déjante, certes, mais on sait aussi s’affiner. Counterfeit oscille dans le cosmos, à sa moitié un chant épars vient le décorer. Trip prenant, le morceau est à l’image de l’opus dont il est extrait: « trippy », obsédant de par l’empilement de ses motifs et atmosphères. En comparaison des 22 minutes de Jim Tully, ça paraît ne rien être mais vous l’aurez saisi, Endless Boogie mérite la palme à chacune de ses créations. Au long de ce morceau de bravoure, au départ aérien, on passe un peu par tous les états. Torpeur, lancinance sonique, notes déroutantes, emballement kraut griffu font de la chanson un must absolu. Le quatuor, personne ne le niera, détient une identité forte. The Conversation, sombre, progresse dans l’ombre. L’éventail des climats parcourus, sur Admonitions, ne laissera personne indifférent. A son horizon ouvert se couple l’indéniable qualité des compositions, sans creux aucun. Incompetent Villains of 1968, dernière fléchette venimeuse du disque, vient finir le job, dans un premier temps, dans la quasi-inertie. Pourtant, sans forcer ni insister, il imprègne le quidam. Céleste, il finit par grésiller, fuzzer, s’épaissir. L’absence de chant, à aucun moment, ne porte atteinte au résultat.
C’est fini, on a déjà envie de le rejouer. En toute logique, puisque notre préférence ira, de…préférence, à ceux qui dessinent leur univers sans rien devoir à quiconque. Ceux qui, aussi, se laissent errer, laissent trainer leurs accords, trouvent le ton juste et en usent jusqu’à satiété. On aurait bien tort, devant un tel effort, exigeant certes, mais passionnant, pas très commun, de verrouiller nos écoutilles. Il y a là tout ce qu’il faut, en termes de posture et d’ambiances, d’amalgame entre les mouvances décelées, pour nous assurer un temps prolongé de bonheur auditif et sensoriel, dans le flux de sept écarts sonores pas piqués des vers.