Suite à mes retrouvailles avec la Lune des Pirates d’Amiens ou l’ASCA de Beauvais, la « Manu » de Saint Quentin manquait à mon tableau de chasse depuis que les lives, enfin, peuvent se tenir un tant soit peu correctement. C’est donc avec une joie non dissimulée -excitation, même, pour Asian Dub Foundation, circonspection en revanche pour Biga Ranx-, que j’embarquais pour la localité de l’Axonais, où je fis mes débuts face à Lofofora. Le temps de converser avec Cédric Barré -après lui avoir laissé, en bon indé-addict que je suis, deux cd de Bruit Noir et JC Satan à l’accueil de la Manu-, la salle d’abord clairsemée se remplit pour Biga Ranx, à qui il revient d’ouvrir le bal. Le sieur Barré m’avait prédit, en fin limier, un set consistant, joli show lumière et vidéo à l’appui. Ses paroles, sans ébranler dans un premier mon incertitude, se vérifièrent. Là où je pressentais un univers (trop) cool, ennuyeux comme le reggae peut l’être en certaines occurrences, nous eûmes droit à un live énergique, cadencé, rehaussé de plus par l’enthousiasme de l’assemblée. On verra le musicien pluriel de notre scène, épaulé d’un batteur qui a le mérite de charpenter le set sans flancher, investir la foule et y rester un moment, visiblement dans son élément. Musicalement, ça pulse pas mal et en dépit de quelques passages optimistes un brin barbants à mon goût, « Biga » passe l’épreuve avec un certain mérite.
Biga Ranx.
Le public, lui, est aux anges. Ca danse de partout, ça filme un peu trop mais on peut le comprendre; nous tenons tous à emmener avec nous, à l’issue, ces instants de bonheur précieux. Reconnaissant, l’homme à casquette remercie chaleureusement. Il donne de sa personne, humain et généreux et ça, ça mérite déjà les égards. La surprise est plutôt bonne en tout cas, sauf à avoir l’esprit complètement obtus. Mais c’est bel et bien pour les Pakis de Londres, vus avant Radiohead en 2003 où déjà, ils furent impressionnants, que je suis venu. Le noir se fait, soudainement; c’est Nathan Lee, le flutiste dépaysant, qui lance le show avec un foutu brio. Mindlock suit, après que le frontman nous ait annoncé l’absence du guitariste pour raisons de santé. Ce n’est rien, on enregistre ses fameuses parties et…c’est parti. D’emblée dub, électro, effluves « from India » et rock aux riffs charnus entrent en collision. The signal and the noise suit, riffeur lui aussi, en pavé ragga-rock à la ADF. En deux morceaux, la clique met tout le monde d’accord. On jubile, pour ma part je laisse la joie me bastonner les sens. Outre le sens du partage, un discours aiguisé aussi, Asian Dub Foundation possède un arsenal de titres taillés pour flinguer. C’est un uppercut qu’on se prend là, groovy, rentre-dedans, aux saveurs d’Orient qui en font en grande partie l’attrait. Le melting-pot d’ADF est conscient, large, semblable à nul autre. La haine, entre autres standards imparables, vient dubrocker avec furie. « Asian Dub » est une machine de guerre. Front line, dopé par la flute, des nappées électro traversées par les guitares, un débit rap tchatcheur, en remet une pelletée.
Asian Dub Foundation.
Flyover, repris par la foule, marie électro et ragga mâtiné de soul. Stand up, reggae…dub, ça va de soi, puis Naxalite, entre autres plumées qu’on accueille avidement, le second balançant sa drum’n’bass trépidante, appuient là où ça fait mal…et tant de bien. C’est la raclée, c’est bien à ça qu’on s’attendait. Tout s’enchaine sans débander, excusez l’expression mais elle me parait correspondre à l’énergie injectée par Asian Dub Foundation dans ce live de folie. « Again and again until the land is ours/Again and again until we have taken the power », le clan prend le pouvoir et rallie le public à sa cause. Un Fortress Europe de tous les diables, que je beugle sur son début, vient ponctuer la dégelée dominicale. Une quinzaine de chansons high-level, qu’un rappel tenant en un Rebel warrior surligné par de superbes lights finalise magistralement. J’aime ces mecs, depuis les premières écoutes: ils sont le cool. Il n’y a qu’à voir, pour en attester, leur bassiste aux sourires-bonheur. Ils sont la colère, un étalon « ragga-rock-électro-dub », pour faire court, sans égal. Voués à la cause de ceux dont trop peu on cause, ils ont du coeur, du talent et la rage chevillée au corps. Ce dimanche, une fois de plus, ils se sont relevé les manches, donnant tout et percutant la Manu de leur fusion incomparable. Lessivés nous sommes, heureux plus encore. ADF, dans la communion, vient de planter sa bannière à la Manufacture, retournée par un raz de marée scénique tout bonnement ébouriffant.
Asian Dub Foundation.
Photos William Dumont.